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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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l'Angleterre autour de Wellington. Si nous croyons Plutarque, nous verrons la Grèce et Rome menées par une trentaine de volontés intelligentes, ce qui est évidemment absurde et contraireà la vie normale des peuples. Devant le déterminisme historique d'un Karl Marx, par exemple, la simple intention d'écrire une biographie est un péché contre la vérité, mais les marxistes ont commis ce péché en écrivant eux-mêmes des biographies de Karl Marx et de Lénine. C'est donc sans doute qu'il est inévitable.
    La déformation imposée à l'histoire sera d'autant plus grande que l'individu est plus grand. Prenons un exemple dans l'antiquité 2 . L'histoire du temps d'Alexandre ne nous est guère connue que par des biographies, celle de Plutarque et celle d'Arrien. La conséquence est que ce fragment d'histoire a toujours été traité incomplètement. Obsédés par l'image d'Alexandre, les historiens ont négligé d'examiner l'évolution de la Macédoine, comment cet Etat avait emprunté à la civilisation grecque ce qui lui donnait sa force : industrie, marine, armements ; et non pas ce qui lui donnait le bonheur: liberté individuelle, culture esthétique. La Macédoine était devant le reste de la Grèce comme aujourd'hui l'Amérique devant l'Europe. C'est cela qui explique l'empire macédonien, et il s'est dissocié tout seul quand, avec la culture, il a connu la décadence des mœurs. L'obsession par le personnage d'Alexandre a empêché aussi l'historien de voir ce qu'était l'empire perse avant sa chute. Cet empire n'avait aucune puissance militaire, comme on peut le voir par la retraite des Dix mille et, comme il semble avoir connu peu de dissensions internes, il faut supposer une prospérité pacifique très grande, que l'idéehellénique et plutarquienne de conquête civilisatrice par Alexandre a volontairement négligée. Donc, l'erreur du biographe (erreur due au genre même) aura été de cacher les peuples sous un homme et de présenter un homme comme cause nécessaire et raison suffisante d'événements qui le dépassent.
    Si on avait à tirer toute l'histoire de biographies, on la croirait faite d'individus qui s'opposeraient et dont les luttes créeraient les événements. L'opposition Gladstone-Disraeli, très tentante pour un biographe, n'est importante que si l'on montre au-dessous d'elle les couches profondes qui, dans les masses anglaises, lui correspondaient. L'amateur de biographie arriverait, lui, à constituer une histoire sans continuité dans le temps et sans unité dans l'évolution, d'où résulterait, par le besoin d'hommes représentatifs, une morale émersonienne et une politique césarienne.
    Voyez au contraire combien a d'unité et, je dirai même, de beauté, un fragment d'histoire sur lequel manquent les biographies, et où les biographes ont dû partir exclusivement de l'histoire, comme la guerre du Péloponèse. Là aucun récit personnel ne vient gâter l'objectivité de Thucydide, mais la naïveté même d'un tel éloge en montre la fausseté. L'accord complet qui s'est fait sur la guerre du Péloponèse entre les historiens serait détruit s'il existait, par exemple, une biographie de Cléon, écrite par un historien démocrate.
    Comme toujours, il est difficile de dégager ici une règle générale. Dans certains cas, il est vrai de dire que l'action personnelle d'un homme a transformé la vie d'un pays. Entre 1800 et 1815, la vie de la France est fortement liée à celle de Napoléon 3 . Au contraire, dansle cas de la reine Victoria, Strachey a été prudent en faisant de son livre un portrait personnel plutôt qu'un large tableau historique. L'influence de la reine sur la politique anglaise a été assez grande, mais elle n'a été qu'un facteur parmi beaucoup d'autres.
    Il est intéressant d'observer notre propre temps parce que nous pouvons y saisir l'histoire en formation. Dans deux cas au moins il m'a été donné de constater que l'action personnelle d'un homme, son caractère, peuvent devenir causes déterminantes de phénomènes historiques généraux. L'un est la création du Maroc français par Lyautey. Là on vit avec une parfaite clarté un pays modelé par un homme, et devenant une image agrandie de l'esprit de cet homme. L'autre est le relèvement financier de la France par M. Poincaré en 1925. Mais, dans les deux cas, l'homme d'Etat et le fondateur d'empire n'occupent le centre du tableau que pendant un temps assez court. Les y installer pendant toute

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