Voyage au Congo
Diverses sortes d’arbres inconnus, à larges feuilles, étonnement du voyageur. Une race de chèvres très petite et basse sur jambes ; des boucs à peine un peu plus grands que des chiens terriers ; on dirait des chevreaux, mais déjàcornus et qui dardent par saccade un très long aiguillon violâtre.
Transversales, les rues vont de la mer à la lagune ; celle-ci, peu large en cet endroit, est coupée d’un pont qu’on dirait japonais. Une abondante végétation nous attire vers l’autre rive ; mais le temps manque. L’autre extrémité de la rue se perd dans le sable d’une sorte de dune ; un groupe de palmiers à huile ; puis la mer, qu’on ne voit pas, mais que dénonce la mâture d’un grand navire.
Lomé (2 août).
Au réveil, un ciel de pluie battante. Mais non ; le soleil monte ; tout ce gris pâlit jusqu’à n’être plus qu’une buée laiteuse, azurée ; et rien ne dira la douceur de cette profusion d’argent. L’immense lumière de ce ciel voilé, comparable au pianissimo d’un abondant orchestre.
Cotonou (2 août).
Combat d’un lézard et d’un serpent d’un mètre de long, noir lamé de blanc, très mince et agile, mais si occupé par la lutte que nous pouvons l’observer de très près. Le lézard se débat, parvient à échapper, mais abandonnant sa queue, qui continue longtemps de frétiller à l’aveuglette.
Conversations entre passagers.
Je voudrais comme dans le Quotidien ouvrir une rubrique, dans ce carnet : « Est-il vrai que… » Est-il vrai qu’une société américaine, installée à Grand-Bassam, y achète l’acajou qu’elle nous revend ensuite comme « mahogany » du Honduras ?
Est-il vrai que le maïs que l’on paie 35 sous en France ne coûte que… etc.
Libreville (6 août), Port-Gentil (7 août).
À Libreville, dans ce pays enchanteur,
où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux,
l’on meurt de faim. L’on ne sait comment faire face à la disette. Elle règne, nous dit-on, plus terrible encore à l’intérieur du pays.
La grue de l’ Asie va cueillir à fond de cale les caisses qu’elle enlève dans un filet à larges mailles, puis déverse dans le chaland transbordeur. Des indigènes les reçoivent et s’activent avec de grands cris. Coincée, heurtée, précipitée, c’est merveille si la caisse arrive entière. On en voit qui éclatent comme des gousses, et répandent comme des graines leur contenu de boîtes de conserve. J’en saisis une. F., agent principal d’une entreprise d’alimentation, à qui je la montre, reconnaît la marque et m’affirme que c’est un lot de produits avariés qui n’a pu trouver acheteur sur le marché de Bordeaux.
8 août.
Mayoumba. – Lyrisme des pagayeurs, au dangereux franchissement de la barre. Les couplets et les refrains de leur chant rythmé se chevauchent {1} . À chaque enfoncement dans le flot, la tige de la pagaie prend appui sur la cuisse nue. Beauté sauvage de ce chant semi-triste ; allégresse musculaire ; enthousiasme farouche. À trois reprises la chaloupe se cabre, à demi dressée hors du flot ; et lorsqu’elle retombe un énorme paquet d’eau vous inonde, que vont sécher bientôt le soleil et le vent.
Nous partons à pied, tous deux, vers la forêt. Une allée ombreuse y pénètre. Étrangeté. Clairières semées de quelques huttes de roseaux. L’administrateur vient à nous en tipoye {2} , et en met aimablement deux autres à notre disposition. Il nous emmène, alors que nous étions déjà sur le chemin du retour ; et nous rentrons de nouveau dans la forêt. À vingt ans je n’aurais pas eu joie plus vive. Cris et bondissements des porteurs. Nous revenons par le bord de la mer. Sur la plage, fuite éperdue des troupeaux de crabes, hauts sur pattes et semblables à de monstrueuses araignées.
9 août, 7 heures du matin.
Pointe Noire {3} . – Ville à l’état larvaire, qui semble encore dans le sous-sol.
9 août, 5 heures du soir.
Nous entrons dans les eaux du Congo. Gagnons Banane dans la vedette du commandant. Chaque occasion de descendre à terre nous trouve prêts. Retour à la nuit tombante.
La joie est peut-être aussi vive ; mais elle entre en moi moins avant ; elle éveille un écho moins retentissant dans mon cœur. Ah ! pouvoir ignorer que la vie rétrécit devant moi sa promesse… Mon cœur ne bat pas moins fort qu’à vingt ans.
Lente remontée du fleuve dans la nuit. Sur la rive
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