Voyage au Congo
de boucherie 1 frs le kg, un œuf 0,10. Le prix de la vie s’était élevé pour les Européens par rapport à 1918 de 150 % en moyenne, pour les indigènes, calculé en argent, il avait vingtuplé en ce qui concerne le mil et augmenté de 1500 % pour les produits importés. Pour dire autrement, il suffisait de trois poulets pour se procurer 20 kg de mil ou plus d’un yard de calicot en 1918 ; au début de 1926 il fallait vendre trois ou quatre poulets pour obtenir deux kg de mil et dix poulets pour acheter un yard de calicot. La démonstration pourrait être poussée très loin, les résultats seraient identiques et inattaquables.
L’arrivée du Gouverneur M. de Coppet empêcha même un désastre, car l’administration locale avait eu l’idée aussi simple qu’inapplicable de taxer le mil. À l’instant même, si cette mesure eût été prise, le mil disparaissait de tous les marchés et, s’il en avait existé des stocks dans les villages, il eût été nécessaire d’aller les réquisitionner à main armée. Mais comme il n’y avait pas de stocks, la mesure eût été inopérante en tant qu’elle visait des résultats pratiques, elle aurait présenté d’autre part l’inconvénient d’interdire aux intermédiaires indigènes d’aller s’approvisionner de mil au Cameroun et en Nigeria. Car la liberté laissée aux transactions suscita un grand nombre de vocations commerciales et il est permis de dire que c’est grâce à ces intermédiaires, que la famine n’a pas sévi dans la région de Fort-Lamy. Ils se procuraient du mil contre des pièces de 5 frs en argent et, compte tenu de la valeur locale, très variable, de l’argent (20 à 30 frs en billets pour une pièce), le mil leur était vendu 1 fr environ le kg, franc papier. En ajoutant à ce prix, les frais de transport par pirogue, par bœuf, à tête d’homme, les dépenses occasionnées par le déplacement, le prix de 1.50 fr le kg sur le marché de Fort-Lamy n’était pas excessif.
Une hausse des prix applicable aux Européens par lesproduits du cru s’imposait donc absolument, tout autre que M. de Coppet n’aurait pu s’y opposer sans manquer à la justice. Il convient de noter que les indigènes n’ont pas en général abusé de la liberté toute nouvelle qui leur était laissée. En décembre 1926 le kg de bœuf ou de mouton se vendait à Fort-Lamy 2 fr, un œuf 0,25, un poulet de 2.50 à 4 frs, le beurre et l’huile d’arachides 5-6 frs le litre, le lait à 0.50 le litre. L’augmentation générale moyenne peut être évaluée sur la base des prix de 1918, à 6 ou 700 %, augmentation normale si l’on tient compte de ce qu’en 1918, les prix étaient établis par l’Administration, sans que les producteurs eussent voix au chapitre, et qu’il y avait une différence appréciable entre les cours officiels et la valeur marchande des produits.
Une des causes du mécontentement pour ainsi dire général qu’a provoqué le renchérissement de la vie dû à la liberté du commerce, c’est que les traitements n’ont pas été augmentés dans les mêmes proportions. Le fait est exact, mais (exception faite pour les fonctionnaires que le Gouvernement a voulu avantager dans un but électoral, les instituteurs par exemple), la même inégalité se retrouve en France. Un Administrateur de 1 re classe des Colonies, célibataire, touchait à Paris 8 000 frs d’appointement en 1917, il en touche aujourd’hui 24 600. – Tant que le régime paiera mal ses agents – et ce sera toujours, car ils sont trop nombreux – ceux-ci succomberont à la tentation, lorsqu’ils en auront le pouvoir, de ne pas payer généreusement les indigènes.
Ce qu’on peut dire encore en faveur de la liberté commerciale au Tchad, c’est que, dans toutes nos possessions, cette liberté a succédé à la liberté qu’avaient eue à l’origine les Européens d’imposer les prix qu’ils entendaient payer. Ailleurs on a procédé graduellement ; au Tchad, il a été nécessaire, les circonstances l’exigeaient – mauvaise récolte, nécessité de procurer aux indigènes des ressources leur permettant d’acheter du mil devenu cher – d’agir avec une certaine brutalité. C’était indispensable et c’est bien ; on s’accoutumera rapidement au nouveau système qu’on ne peut critiquer qu’avec des arguments d’intérêt personnel et dépourvus de la plus élémentaire équité.
Le seul point noir est que l’indigène, en
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