Voyage au Congo
gauche, au loin, quelques lumières ; un feu de brousse, à l’horizon ; à nos pieds l’effrayante épaisseur des eaux.
(10 août).
Un absurde contretemps m’empêche, en passant à Bôma (Congo belge), d’aller présenter mes respects au Gouverneur. Je n’ai pas encore bien compris que, chargé de mission, je représente, et suis dès à présent un personnage officiel. Le plus grand mal à me gonfler jusqu’à remplir ce rôle.
Matadi {4} (10 août), 6 heures du soir
Partis le 12, à 6 heures du matin – arrivés à Thysville à 6 h. 1/2 du soir.
Nous repartons vers 7 heures du matin, pour n’arriver à Kinshassa qu’à la nuit close.
Le lendemain traversée du Stanley-Pool. Arrivée vendredi 14 à 9 heures du matin à Brazzaville {5} .
Brazzaville.
Étrange pays, où l’on n’a pas si chaud que l’on transpire.
À chasser les insectes inconnus, je retrouve des joies d’enfant. Je ne me suis pas encore consolé d’avoir laissé échapper un beau longicorne vert pré, aux élytres damasquinés, zébrés, couverts de vermiculures plus foncées ou plus pâles ; de la dimension d’un bupreste, la tête très large, armée de mandibules-tenailles. Je le rapportais d’assez loin, le tenant par le corselet, entre pouce et index ; sur le point d’entrer dans le flacon de cyanure, il m’échappe et s’envole aussitôt.
Je m’empare de quelques beaux papillons porte-queue, jaune soufré maculés de noir, très communs ; et d’un autre un peu moins fréquent, semblable au machaon, mais plus grand, jaune zébré de noir (que j’avais vu au Jardin d’Essai de Dakar).
Ce matin, nous sommes retournés au confluent du Congo et du Djoué, à six kilomètres environ de Brazzaville. (Nous y avions été hier au coucher du soleil.) Petit village de pêcheurs. Bizarre lit de rivière à sec, tracé par une incompréhensible accumulation de « boulders » presque noirs ; on dirait la morène d’un glacier. Nous bondissons de l’une à l’autre de ces roches arrondies, jusqu’aux bords du Congo. Petit sentier, presque au bord du fleuve ; crique ombragée, où une grande pirogue est amarrée. Papillons en grand nombre et très variés ; mais je n’ai qu’un filet sans manche et laisse partir les plus beaux. Nous gagnons une partie plus boisée, tout au bord de l’affluent, dont les eaux sont sensiblement plus limpides. Un fromagerénorme, au monstrueux empattement, que l’on contourne ; de dessous le tronc, jaillit une source. Près du fromager, un amorphophallus violet pourpré, sur une tige épineuse de plus d’un mètre. Je déchire la fleur et trouve, à la base du pistil, un grouillement de petits asticots. Quelques arbres, auxquels les indigènes ont mis le feu, se consument lentement par la base.
J’écris ceci dans le petit jardin de la très agréable case que M. Alfassa, le Gouverneur général intérimaire, a mis à notre disposition. La nuit est tiède ; pas un souffle. Un incessant concert de grillons et, formant fond, de grenouilles.
23 août.
Troisième visite aux rapides du Congo. Mais cette fois, nous nous y prenons mieux, et du reste guidés avec quelques autres par M. et M me Chaumel, nous traversons un bras du Djoué en pirogue et gagnons le bord même du fleuve, où la hauteur des vagues et l’impétuosité du courant sont particulièrement sensibles. Un ciel radieux impose sa sérénité à ce spectacle, plus majestueux que romantique. Par instants, un remous creuse un sillon profond ; une gerbe d’écume bondit. Aucun rythme ; et je m’explique mal ces inégalités du courant.
– « Et croiriez-vous qu’un pareil spectacle attend encore son peintre ! » s’écrie un des invités, en me regardant. C’est une invite à laquelle je ne répondrai point. L’art comporte une tempérance et répugne à l’énormité. Une description ne devient pas plus émouvante pour avoir mis dix au lieu d’un. On a blâmé Conrad, dans le Typhon, d’avoir escamoté le plus fort de la tempête. Je l’admire au contraire d’arrêter son récit précisément au seuil de l’affreux, et de laisser à l’imagination du lecteur libre jeu, après l’avoir mené, dans l’horrible, jusqu’à tel point qui ne parût pas dépassable. Mais c’est une commune erreur, de croire que la sublimité de la peinture tient à l’énormité du sujet. Je lis dans le bulletin de la Société des recherches Congolaises (n° 2) :
« Ces tornades,
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