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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
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dont la violence est extrême, sont, à mon avis, la plus belle scène de la nature intertropicale. Et je terminerai en exprimant le regret qu’il ne se soit pas trouvé, parmi les coloniaux, un musicien né pour les traduire en musique. » Regret que nous ne partagerons point.
    24 et 25 août.
     
    Procès Sambry.
    Moins le blanc est intelligent, plus le noir lui paraît bête.
    L’on juge un malheureux administrateur, envoyé trop jeune et sans instructions suffisantes, dans un poste trop reculé. Il y eût fallu telle force de caractère, telle valeur morale et intellectuelle, qu’il n’avait pas. À défaut d’elles, pour imposer aux indigènes, on recourt à une force précaire, spasmodique et dévergondée. On prend peur ; on s’affole ; par manque d’autorité naturelle, on cherche à régner par la terreur. On perd prise, et bientôt plus rien ne suffit à dompter le mécontentement grandissant des indigènes, souvent parfaitement doux, mais que révoltent et poussent à bout les injustices, les sévices, les cruautés {6} .
    Ce qui paraît ressortir du procès, c’est surtout l’insuffisance de surveillance. Il faudrait pouvoir n’envoyer dans les postes reculés de la brousse, que des agents de valeur déjà reconnue. Tant qu’il n’aura pas fait ses preuves, un administrateur encore jeune demande à être très étroitement encadré.
    L’avocat défenseur profite de cette affaire, pour faire le procès de l’administration en général, avec de faciles effets d’éloquence et des gestes à la Daumier, que j’espérais hors d’usage depuis longtemps. Prévenu de l’attaque, et pour y faire face, M. Prouteaux, chef de cabinet du Gouverneur, avait courageusement pris place aux côtés du ministère public ; ce que certains ne manquèrent pas de trouver « déplacé ».
    À noter l’effarante insuffisance des deux interprètes ; parfaitement incapables de comprendre les questions posées par le juge, mais que toujours ils traduisent quand même, très vite et n’importe comment, ce qui donne lieu à des confusions ridicules. Invités à prêter serment, ils répètent stupidement : « Dis : je le jure », aux grands rires de l’auditoire. Et lorsqu’ils transmettent les dépositions des témoins, on patauge dans l’à-peu-près.
    L’accusé s’en tire avec un an de prison et le bénéfice de la loi Bérenger.
    Je ne parviens pas à me faire une opinion sur celle des nombreux indigènes qui assistent aux débats et qui entendent le verdict. La condamnation de Sambry satisfait-elle leur idée de justice ?…
     
    Durant la troisième et dernière séance de ce triste procès, un très beau papillon est venu voler dans la salle d’audience, dont toutes les fenêtres sont ouvertes. Après de nombreux tours, il s’est inespérément posé sur le pupitre devant lequel j’étais assis, où je parviens à le saisir sans l’abîmer.
     
    Le lendemain, je reçois la visite de M. X, l’un des juges assesseurs.
    – « Voulez-vous le secret de tout ceci ? me dit-il ; Sambry couchait avec les femmes de tous les miliciens à ses ordres. Il n’y a pas pire imprudence. Dès qu’on ne les tient plus en main, ces gardes indigènes deviennent terribles. Presque toutes les cruautés qu’on reproche à Sambry sont leur fait. Mais tous ont déposé contre lui, vous l’avez vu. »
     
    Je prends ces notes trop « pour moi » ; je m’aperçois que je n’ai pas décrit Brazzaville. Tout m’y charmait d’abord : la nouveauté du climat, de la lumière, des feuillages, des parfums, du chant des oiseaux, et de moi-même aussi parmi cela, de sorte que par excès d’étonnement, je ne trouvais plus rien à dire. Je ne savais le nom de rien. J’admirais indistinctement. On n’écrit pas bien dans l’ivresse. J’étais grisé.
    Puis, passé la première surprise, je ne trouve plus aucun plaisir à parler de ce que déjà je voudrais quitter. Cette ville, énormément distendue, n’a de charmant que ce qu’elle doit au climat et à sa position allongée près du fleuve. En face d’elle Kinshassa paraît hideuse. Mais Kinshassa vit d’une vie intense ; et Brazzaville semble dormir. Elle est trop vaste pour le peu d’activité qui s’y déploie. Son charme est dans son indolence. Surtout je m’aperçois qu’on ne peut y prendre contact réel avec rien ; non point que tout y soit factice ; mais l’écran de la civilisation s’interpose, et rien n’y entre que

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