Voyage en Germanie
que nous longions Valentia en bateau ; une cochonnaille maléfique nous obligea à faire halte une journée à Vienna, et le temps que nous nous traînions jusqu’en les murs de la cité, le vin que nous avions éclusé pour tâcher d’oublier la cochonnaille nous fendait le crâne. Et au fil de notre route, nous ne cessions d’écraser les habituelles nuées automnales de vermine amassant des réserves avant l’hiver : punaises, guêpes et petites mouches insidieuses dont le repaire favori n’est autre que la narine du voyageur. Xanthus, dont l’épiderme dorloté n’était pratiquement jamais sorti du palais, fit une éruption d’urticaire dont il me décrivit l’évolution dans les grandes largeurs.
Lugdunum, donc. Au moment de débarquer, je gratifiai Xanthus d’une conférence touristique :
— Lugdunum : capitale des Trois Gaules. On l’apprend avec César divisa la Gaule en trois parties…, ce que tout écolier est tenu de savoir, quoique vous autres, barbiers, échappiez peut-être à ce genre de détails mineurs d’instruction… Une belle ville, fondée par Marcus Agrippa pour servir de centre de communication et d’affaires. Remarque le système intéressant d’aqueducs, qui fait appel à des conduites fermées disposées en siphons inversés pour franchir les vallées fluviales. C’est extrêmement coûteux, donc nous pouvons conclure qu’en regard des critères provinciaux, les gens de Lugdunum sont extrêmement riches ! Il y a bien un temple voué au culte impérial, mais nous n’irons pas le voir…
— J’aimerais pouvoir visiter !
— Reste avec moi, Xanthus. La ville se flatte aussi de posséder hors les murs une place réservée à la fameuse poterie d’Arretium. Nous irons voir, histoire de nous régaler l’œil. Toi et moi, nous allons nous conformer à la grande tradition touristique consistant à rapporter chez soi je ne sais quel plat ou assiette… payé deux fois son prix pour trois fois plus d’embêtements qu’en raquant pour l’acheter en Italie.
— Dans ce cas, pourquoi le faire, Falco ?
— Ne me pose pas la question à moi.
Parce que ma mère me l’avait demandé.
La fabrique de poterie rouge de Samos représentait une fabuleuse occasion de nous esquinter les jambes à piétiner toute la matinée devant des milliers de récipients, sans parler des achats fastueux que nous pourrions faire pour rapporter des cadeaux qui allaient convulser nos banquiers. Les potiers de Lugdunum espéraient fournir un jour l’Empire entier. La réussite commerciale qu’ils connaissaient était le gros coup de l’époque. Ils monopolisaient le marché, et dans leurs installations régnait cette atmosphère d’implacable rapacité qui passe pour l’esprit d’entreprise.
Fours et échoppes encerclaient la ville telle une armée disposée en vue d’un siège, dominant le train-train de la vie quotidienne. Des charrettes encombraient toutes les voies d’issue, peinant à avancer, gémissant sous des piles de cagettes débordantes des fameuses poteries rouges emballées de paille pour être acheminées dans tout l’Empire et probablement au-delà. En dépit de la crise qui avait suivi les troubles violents de la guerre civile, ce secteur était florissant. S’il advenait un jour que le marché de la céramique s’effondre, Lugdunum allait connaître un désastre à grande échelle.
Les ateliers s’étiraient sur des hectares. Chacun abritait un artisan indigène généralement libre de naissance, contrairement à son collègue œuvrant dans l’usine du nord de l’Italie, dont le personnel, je le savais, était constitué d’esclaves. Ma mère – qui me suggérait toujours des idées utiles de choses à lui offrir – m’avait appris que l’Arretium était sur le déclin, alors que la place potière de Lugdunum était considérée par les maîtresses de maison averties comme l’endroit où se procurer des articles plus raffinés. Certes, c’était cher, mais à contempler les étalages chancelants de plats, cruches et compotiers, je reconnus la qualité. Les moules utilisés sur les lieux produisaient des motifs aux contours ciselés, des scènes classiques finement gravées, et une fois travaillée, l’argile était cuite sur-le-champ jusqu’à ce qu’elle prenne une couleur rouge sombre chaude et luisante. Je comprenais sans peine pourquoi ce type de céramique était aussi recherché que le bronze ou le verre.
Ma mère, qui avait élevé sept
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