1942-Le jour se lève
voyait bien sur la carte que les Allemands de
Stalingrad étaient absolument pris au piège et qu’ils ne pourraient en sortir… Je
m’aperçus que les soldats aussi bien que les officiers avaient une impression
de confiance comme je n’en avais jamais vu encore dans l’armée Rouge. Durant la
bataille de Moscou, il n’y avait rien eu de semblable.
« Loin en arrière de la ligne de combat, des milliers
de Roumains erraient à travers la steppe, maudissant les Allemands, cherchant
désespérément les dépôts de vivres russes, et cherchant surtout à se faire
accueillir comme prisonniers de guerre. Quelques isolés se mirent même à la
merci de paysans russes, qui les traitèrent avec charité pour cette simple
raison qu’ils n’étaient point allemands. Ils voyaient dans ces Roumains de
“simples paysans comme eux”.
« Si l’on excepte quelques petits groupes de la Garde
de Fer des fascistes roumains qui, çà et là, se battirent durement, les soldats
roumains en avaient assez de la guerre ; les prisonniers que je vis
disaient tous la même chose : c’était la guerre de Hitler, et les Roumains
n’avaient rien à faire sur le Don.
« Plus j’approchais de Stalingrad, plus le nombre des
prisonniers allemands augmentait… La steppe offrait un tableau fantastique :
elle était couverte de chevaux morts, parmi lesquels quelques bêtes agonisaient,
debout sur trois jambes gelées, et agitaient la quatrième, cassée. C’était
pathétique. Au cours de la percée russe, 10 000 chevaux avaient été
tués. Toute la steppe était jonchée de ces cadavres, d’affûts de canons brisés,
de chars et de pièces d’artillerie de toutes origines – allemands, français,
tchécoslovaques, et même britanniques (sans doute pris à Dunkerque)… et à perte
de vue il y avait des cadavres roumains et allemands. Les cadavres russes
étaient enterrés les premiers. Les civils revenaient dans leurs villages, dont
la plupart étaient quasiment détruits… Kalatch n’était que décombres. Il ne
restait qu’une maison debout.
« Le général Chistiakov, dont je finis par trouver le
quartier général dans un village au sud de Kalatch, me dit que quelques jours à
peine plus tôt les Allemands auraient pu sans difficulté faire une percée et se
sortir de Stalingrad, mais Hitler l’avait interdit. Ils avaient laissé passer
leur chance. Le général avait la certitude que Stalingrad serait prise vers la
fin de décembre.
« Les avions de transport allemands, continua
Chistiakov, étaient abattus par douzaines, et les Allemands bloqués dans la
“poche” de Stalingrad manquaient déjà de nourriture : ils mangeaient leurs
chevaux.
« Les prisonniers allemands que je vis étaient surtout
de jeunes gars, à l’air très misérable. Je ne vis aucun officier. Par trente
degrés de froid, ils portaient des capotes ordinaires et des couvertures
entourées autour du cou. Ils n’avaient aucune tenue spéciale d’hiver, tandis
que les Russes étaient fort bien équipés de valenki, de peaux de mouton,
de gants chauds, etc. Moralement, les Allemands étaient frappés de stupeur ;
ils n’arrivaient pas à comprendre ce qui leur arrivait.
« Sur le chemin du retour, je vis le général Vatoutine
dans une école ravagée de Serafimovitch.
« L’entrevue dura quelques minutes, à 4 heures du
matin… Le général était horriblement fatigué ; il n’avait pour ainsi dire
pas fermé l’œil depuis quinze jours. Il se frottait sans cesse les yeux. Il n’en
paraissait pas moins plein d’énergie, de détermination, d’optimisme. Il me
montra une carte sur laquelle était clairement indiqué le bond en avant des
Russes dans la zone ouest du Don. J’eus l’impression que cette percée leur
avait coûté beaucoup moins cher qu’aux Roumains et aux Allemands ; ils l’avaient
bien préparée ! »
Le correspondant de l’United Press n’a pas vu les cadavres
des Italiens.
Ils appartenaient à la VIII e armée italienne
envoyée par le Duce combattre aux côtés des « camarades allemands ».
Elle comptait 250 000 hommes équipés comme pour
une marche dans un pays tempéré !
La plupart disparurent.
« Ils eurent pour tombeau les steppes du Don », commente
un historien russe.
Khrouchtchev – successeur de Staline en 1956 –, responsable
politique et militaire dans la bataille de Stalingrad, ajoute :
« La guerre est comme un feu. Il est facile
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