1944-1945-Le triomphe de la liberte
rencontres
tumultueuses au 10, Downing Street ou à Marrakech, et de cette humiliante conférence
d’Anfa.
Tant de conflits. Et maintenant, la France qui peut recevoir
chez elle avec faste !
« Je croyais ce matin, dit Churchill, assister à une
résurrection. »
Mais dans la salle de conférences, de Gaulle, dès les
premiers échanges, constate que le Premier ministre se dérobe. Il l’écoute
répondre dans son français chaotique aux questions précises qu’il pose.
Bien sûr, Churchill accepte que la France fasse partie de la
commission qui va décider du sort de l’Allemagne. Et même que les troupes françaises
disposent d’une zone d’occupation après la victoire.
Mais cela reste vague, Churchill ne veut pas s’engager aux
côtés de la France.
« Nos deux pays nous suivront, insiste de Gaulle.
L’Amérique et la Russie entravées par leurs rivalités ne pourront pas passer
outre. D’ailleurs, nous aurons l’appui de beaucoup d’États et de l’opinion
mondiale qui, d’instinct, redoutent les colosses. En fin de compte,
l’Angleterre et la France façonneront ensemble la paix comme deux fois en
trente ans elles ont ensemble affronté la guerre. »
Churchill voudra-t-il de cet accord qui peut faire de
l’Europe la maîtresse du jeu ?
Il hésite d’abord à répondre, parle de l’émotion qu’il a
ressentie en se rendant à l’Hôtel de Ville, accueilli par les acclamations des
personnalités de la Résistance.
Il a pleuré durant toute la cérémonie, avoue-t-il.
« Vos révolutionnaires, on dirait des travaillistes.
C’est tant mieux pour l’ordre public, mais c’est dommage pour le
pittoresque. »
Puis il tire sur son cigare, se penche vers de Gaulle.
« Dans la politique aussi bien que dans la stratégie,
reprend-il, mieux vaut persuader les plus forts que de marcher à leur encontre.
C’est ce à quoi je tâche de réussir. »
De Gaulle le fixe. Donc, Churchill refuse d’être l’allié de
la France, d’ouvrir une voie européenne entre les deux colosses.
« J’ai noué avec Roosevelt des relations personnelles
étroites, continue le Premier ministre. Avec lui, je procède par suggestions
afin de diriger les choses dans le sens voulu. Pour la Russie, c’est un gros
animal qui a eu faim très longtemps. Il n’est pas possible aujourd’hui de
l’empêcher de manger, d’autant plus qu’il est parvenu en plein milieu du
troupeau des victimes.
« Mais il s’agit qu’il ne mange pas tout. Je tâche de
modérer Staline qui, d’ailleurs, s’il a grand appétit, ne manque pas de sens
pratique. Et puis, après le repas, il y a la digestion.
« Quand l’heure viendra de digérer, ce sera pour les
Russes assoupis le moment des difficultés. Saint Nicolas pourra peut-être alors
ressusciter les pauvres enfants que l’ogre aura mis au saloir. »
44.
Cet ogre russe, ce Staline qui fascine Churchill, de Gaulle,
à l’automne 1944, veut le connaître, conclure avec lui un pacte
franco-soviétique.
C’est la manière, pour la France, de faire contrepoids aux
Anglo-Américains si réticents à admettre que la France s’est arrachée à
l’abîme. À plusieurs reprises déjà, depuis leur entrée dans la guerre en juin
1941, les Russes ont reconnu, soutenu la France Libre.
Et de Gaulle a veillé à ce que sur le front russe combattent
des Français, les pilotes de l’escadrille Normandie-Niemen, dont les
Russes vantent l’héroïsme.
Les symboles comptent dans les relations entre États.
De Gaulle, d’une phrase lancée devant les députés de
l’Assemblée consultative – qui tient lieu de Chambre des députés dans
l’attente des élections –, a annoncé son voyage à Moscou, son projet de
pacte et son but :
« Rebâtissons notre puissance, voilà quelle est
désormais la grande querelle de la France. »
Le 24 novembre 1944, de Gaulle s’envole pour Moscou où
il arrive le 1 er décembre.
Le voyage a été long.
En avion d’abord, jusqu’à Bakou, avec escales au Caire et à
Téhéran où il rencontre le roi Farouk, puis le chah d’Iran, façon de montrer
que la France est de retour.
Puis en train, de Bakou à Stalingrad, et Moscou.
De Gaulle découvre la grise immensité russe, les foules
figées, silencieuses, grises elles aussi.
Partout, de Gaulle sent la contrainte et la peur, la condescendance
des officiels russes.
Ils rappellent que la France, aux plans politique
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