1944-1945-Le triomphe de la liberte
gagne »,
murmure-t-il. Hitler, au fond, est « un pauvre homme qui ne s’en tirera
pas… Si vous, la France, avez besoin de nous, nous partagerons avec vous
jusqu’à notre dernière soupe. »
Puis il se tourne vers l’interprète et, d’une voix dure,
lance : « Tu en sais trop long, toi, j’ai bien envie de t’envoyer en
Sibérie ! »
Dernière image de cette aube russe dans les ors médiévaux du
Kremlin, ce 10 décembre 1944.
« Je vois Staline assis seul à une table, dit de
Gaulle, il recommence à manger. »
45.
De Gaulle, fier d’avoir résisté à « l’Ogre russe »
et obtenu la signature d’un pacte franco-soviétique, sans faire de concessions
majeures sur la « question polonaise », quitte Moscou le lundi
11 décembre 1944.
Le lendemain soir, 12 décembre – simple hasard du
calendrier –, un groupe de généraux allemands, choisis parmi les plus
brillants et expérimentés des commandants du front de l’Ouest, se présentent au
quartier général du Feldmarschall von Rundstedt.
On leur demande de remettre leurs armes, leurs
porte-documents, et ils sont invités à monter dans un car.
Après une demi-heure de route dans la nuit et la neige, on
les dépose à l’entrée du bunker souterrain qui abrite, près de Francfort, à
Ziegenberg, le Grand Quartier Général du Führer.
Ils sont introduits dans la salle de conférences.
L’un d’eux, le général Hasso von Manteuffel, qui vient
d’être promu par Hitler général d’armée – promotion exceptionnelle pour un
officier de seulement 47 ans –, est frappé par l’aspect du Führer.
Assis dans son fauteuil, Hitler, les yeux mi-clos, est pâle,
tassé, voûté, le visage bouffi.
Il se lève difficilement, les mains agitées par un
tremblement nerveux et le bras gauche secoué par un tic violent qu’il s’efforce
de dissimuler. Il marche en traînant la jambe.
Mais cet homme qui semble tenaillé par la maladie se met à
parler avec une telle énergie qu’on est emporté par sa volonté.
Il trace un tableau de la situation militaire.
Les Américains ont pris, le 24 octobre,
Aix-la-Chapelle, la résidence de Charlemagne – Hitler serre les poings.
Mais ils n’ont pas réussi à percer vers le Rhin. Ils n’imaginent pas que
« nous allons contre-attaquer ».
Car Hitler refuse la défensive.
Il lance des chiffres.
« J’ai reconstitué 28 divisions, dont 9 de
panzers. Nous allons attaquer les Ardennes, et au sud 6 divisions
attaqueront en Alsace. »
Le but de l’offensive est de s’emparer d’Anvers, de couper
l’armée britannique de ses bases de ravitaillement, de la forcer à évacuer le
continent.
Ce sera un second Dunkerque. Et le Führer se retournera
alors vers les Russes.
Hitler regarde ses généraux qui semblent accablés.
Il rugit quand Guderian lui parle d’une énorme offensive que
les Russes vont déclencher alors qu’on a dégarni, pour cette contre-attaque à
l’Ouest, le front de l’Est.
« C’est le plus énorme bluff depuis Gengis Khan, hurle
Hitler. Qui est responsable de cet amas de sottises ? »
Les généraux Manteuffel, Model et le Feldmarschall von
Rundstedt voudraient parler, mais d’un geste menaçant le Führer le leur
interdit.
« Vous n’avez pas à me critiquer, dit-il. Voilà cinq
ans que je commande l’armée allemande en campagne, et durant cette période j’ai
acquis plus d’expérience qu’aucun de ces messieurs de l’état-major général ne
peut espérer en acquérir jamais. J’ai étudié Clausewitz et Moltke et tous les
écrits de Schlieffen. Je suis mieux au courant que vous ! »
Les généraux sont figés, accablés.
Le plan de l’offensive des Ardennes est un ordre du jour du
Führer qui doit être appliqué à compter de la nuit du 15 au 16 décembre.
« Je fus stupéfait, raconte von Rundstedt. Hitler ne
m’avait pas consulté au sujet des chances de réussite. À mes yeux, il était
évident que les forces disponibles étaient largement insuffisantes pour un plan
extrêmement ambitieux. Model fut de mon avis. En fait, aucun militaire ne
pouvait croire que l’objectif d’atteindre Anvers était réalisable. Mais je
savais maintenant qu’il était inutile de protester auprès de Hitler de
l’impossibilité de quoi que ce soit. Après avoir consulté Model et Manteuffel,
je compris que le seul espoir était de détourner Hitler de ce projet
fantastique en proposant un
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