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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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de répugnance à lui céder.
    Elle rencontrait de temps en temps Haguenier à Troyes ou chez la dame de Pouilli, et lui faisait toujours comprendre qu’il n’avait encore rien fait pour la mériter. « S’il se décourage, pensait-elle, du moins verrai-je que son amour ne vaut pas grand-chose. » Il la pressait et la suppliait tant de lui imposer une épreuve qu’elle lui dit un jour : « Eh bien, bel ami, si vous arrivez à vaincre et à jeter à terre le comte de Bar, je vous accorderai toute mon amitié. » 
    Or, Henri de Bar se trouvait justement à Troyes, et faisait le service de viande à la table de la comtesse. Haguenier alla lui jeter son gant le jour même, et le lendemain ils se rencontrèrent à cheval dans la cour devant le château. Toutes les dames s’étaient mises aux fenêtres, admirant l’audace du jeune homme. Haguenier fut, naturellement, battu, et même assez durement blessé à la jambe. Henri de Bar, sachant qu’il avait affaire à un rival, le traita sans courtoisie, il lui imposa une rançon de dix marcs et lui prit son cheval et son haubert. Herbert refusa de payer pour son fils, disant : « Il mérite une bonne leçon pour sa sottise. » Et Haguenier dut passer trois mois prisonnier sur parole dans un des châteaux du comte de Bar. Ce fut Jacques de Pouilli qui se chargea de ramasser pour le printemps l’argent demandé.
    Haguenier s’ennuyait mortellement, il ne pouvait même pas chasser, à cause de sa blessure. Il n’avait d’autre compagnie qu’un vieux gentilhomme, écuyer du comte, qui gardait le manoir. Henri de Bar vint plusieurs fois rendre visite à son prisonnier et demander des nouvelles de sa blessure. C’était un homme bizarre, l’amour l’avait réellement rendu fou, s’il ne l’était pas déjà avant. Il parlait et parlait sans fin, buvait beaucoup et essayait d’enivrer son hôte pour le faire parler. Il parlait toujours de sa dame et de son malheur. Parfois, il se mettait à pleurer, la tête dans ses poings, « Le diable, disait-il, a créé la femme pour notre damnation. Et je vous parle comme à un frère, car nous sommes frères dans le malheur. Voyez à quoi elle m’a réduit. Vous devez me mépriser de vous avoir traité ainsi, alors que je suis riche, et qu’il y allait de mon honneur de vous relâcher sans rançon. Car vous vous êtes mesuré à moi pour mériter votre dame, qui est aussi la mienne. J’aurais dû vous laisser aller et vous rendre vos armes ; mais c’est plus fort que moi. Je suis si jaloux que je vous aurais emprisonné à vie si je pouvais. Et pourtant, j’ai tort d’être jaloux, je le sais, car vous n’aurez pas plus de joie d’elle que je n’en ai eu, c’est une femme dure et perfide, qui n’aimera jamais et ne fera que rire de nous. Et je devrais plutôt vous plaindre et vous traiter en ami. Mais ma jalousie est plus forte que ma raison. » Et il proposait à Haguenier de le tenir quitte de sa rançon s’il voulait bien lui promettre de ne plus prétendre à la dame. Puis il recommençait à parler de Marie et de tous les sacrifices qu’il avait faits pour elle.
    Après les visites du comte, Haguenier se sentait déprimé, il gagnait comme une maladie l’exaltation de cet homme, et son désir de Marie s’exaspérait de plus en plus. Cent fois, il fut tenté de violer sa parole et de s’enfuir à Troyes, pour voir Marie, ne fût-ce que de loin ; seule la crainte du blâme public le retenait encore, « mais qu’importe, qu’importe, que je la voie une seule fois, de toute façon j’ai perdu son estime par ma défaite, et que m’importe l’avis des autres ? » Il resta pourtant, se disant que c’est au fond Marie qui le retenait ainsi prisonnier, puisque c’était sur son ordre qu’il s’était battu. Et comme il se disait que jamais elle ne voudrait de lui, il se permettait d’autant plus de penser à elle, n’étant plus tenu par le respect qu’on doit aux choses réelles. « Mortel poison, que de ses yeux la lumière sereine », pensait-il, et il la voyait telle qu’il l’avait vue la dernière fois, le jour où elle lui avait donné cet ordre cruel – toute parée, et avec son visage rayonnant de pâleur rosée – et telle il la prendrait et l’emporterait dans une tour solitaire, plus haute que les clochers de Saint-Pierre, et là il la verrait sans vêtements ; éclatante de blancheur comme une statue d’albâtre qui serait illuminée du dedans, et là il lui

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