22 novembre 1963
pas sans que je vous rappelle. Car vous m’avez fait de la peine, plus encore que l’autre fois. »
Haguenier partit tout à fait vaincu. Remords, tendresse, désir et rancune formaient un tel mélange dans son cœur qu’il ne savait plus où il en était – il ne savait qu’une chose – c’est qu’il avait besoin de revoir Marie et qu’elle ne le rappellerait sûrement pas avant plusieurs jours.
Agenouillé devant la chapelle de saint Pierre, dans la cathédrale, Haguenier priait, les mains jointes sur le haut de la grille. Ce qu’il demandait, il ne le savait même pas, il avait seulement soif de réconfort et d’apaisement et il pensait que saint Pierre l’aiderait. Il récitait donc tout bas ses prières, et se tordait les mains à faire craquer les phalanges. Ce fut à ce moment-là qu’une main lui toucha l’épaule. Il se retourna pensant que c’était Marie, et qu’elle était venue, sentant son appel. Mais ce n’était que le prêtre qui desservait la chapelle, un homme encore jeune et de figure agréable, et qu’il connaissait déjà de vue.
« Excusez-moi, dit le prêtre, mais je voulais ouvrir cette grille, pour entrer dans la chapelle. » Il fit tourner la clef dans la serrure, puis regarda de nouveau Haguenier. « Je vois, dit-il, que vous priez avec une grande ferveur. Que Dieu vous accorde ce que vous demandez, si toutefois c’est une chose permise. Si vous aviez besoin d’un conseil, ou de confession, je suis là. Parfois cela peut faire du bien de dire ce qu’on a sur le cœur.
— Mon père, dit Haguenier, puisque vous venez maintenant, c’est qu’il faut croire que Dieu vous envoie. Je ne vous cacherai rien. Aussi bien n’ai-je guère d’ami à qui je puisse me confier entièrement. » Et il raconta au prêtre ses chagrins et ses ennuis, car il sentait que l’homme l’écoutait avec intérêt. « Vous avez bien peu de sagesse, dit le prêtre, si vous pensez que Dieu qui hait tant le péché va vous aider à entraîner une femme dans l’adultère. On n’adresse pas à Dieu de pareilles demandes.
— Ah ! je le sais bien, dit Haguenier, mais à qui voulez-vous que je demande du secours ?
— Vous connaissez la volonté de Dieu, et ce n’est pas moi qui vous l’enseignerai. Et ce qu’il vous commande, le voici : puisque vous avez commis le péché de répudier votre femme légitime, que ce ne soit pas au moins dans le désir de tromper l’Église, obéissez à votre père, prenez une jeune et belle épouse, et attachez-vous à elle dans le dessein d’avoir des fils. Ainsi vous agirez du moins selon la sagesse du monde, et vous changerez un amour coupable contre un amour permis. »
Haguenier dit : « Cela m’est aussi facile que de cesser d’être moi pour devenir vous.
— Non, dit doucement le prêtre, car on voit les attachements de ce monde passer et changer plus vite même qu’ils ne devraient. Vous êtes jeune et si vous faites sur vous un effort de volonté, et si la fiancée que votre père vous propose est belle et vertueuse, vous verrez qu’il ne vous sera pas difficile de l’aimer. Car il vous faut de toute façon comprendre que l’autre femme ne doit rien être pour vous.
— Ah ! mon père, vous qui avez le pouvoir de consacrer et de tenir dans vos mains le corps de Dieu, je comprends que tout vous paraisse facile et simple. Mais je ne suis qu’un homme du monde, et je vis selon les lois du monde.
— Dieu ne refuse ce pouvoir dont vous parlez à aucun homme qui le désire en son cœur. Ce n’est donc pas une excuse, de dire qu’on est du monde.
— Mon père, je le sais bien moi-même que ma voie serait de faire comme vous et de renoncer au monde pour de bon. Mais je sais aussi que voir cette femme est pour moi comme boire et manger.
— Si vous ne la quittez pas, dit le prêtre, Dieu vous enverra un signe, et vous comprendrez. » Là-dessus il s’en alla, laissant Haguenier perplexe et assez effrayé. Il eût voulu demander quel allait être ce signe. « Marie, Marie, pensait-il, douce et fausse, quelle que tu sois je t’aimerai, quelle que tu sois, sœur élue, qui suis-je pour te juger ? Ô ma fiancée dans l’éternité, la vie nous a séparés avant que nous nous connaissions. Je vois bien que c’est là ma croix, et que ton honneur t’empêche de violer la loi de Dieu. Faible que je suis, je devrais t’en aimer encore plus au lieu de te blâmer. Mais que Dieu m’aide, jamais je ne te trahirai
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