22 novembre 1963
de fer, les quelques ustensiles épargnés par le feu par hasard, et les cadavres sanglants des moutons et des chèvres.
Déjà des renards et des loups rôdaient à l’orée du bois, les corbeaux tournaient au-dessus des charognes.
Au château, tout reprenait le train habituel. Puis, par des paysans de Bernon, ceux de Linnières apprirent ce qui s’était passé à la ferme. Le petit Jean, de Bernon, arriva à cheval trouver Herbert pour lui raconter la chose en détail.
Herbert avait mis ses habits de jeûne et paraissait fatigué et contrit. « Je leur pardonne à tous, je suis plus pécheur qu’eux, dit-il d’une voix morne. Si ma mère veut me recevoir j’irai à Bernon lui demander pardon de mes fautes. Je suis un autre homme maintenant. Je veux qu’elle me pardonne d’abord, ensuite je réparerai tout le mal que j’ai fait. » Et il envoya dame Aelis et ses deux filles aînées et l’écuyer Garin, son cousin, pour prier la dame en sa faveur.
Au village comme au château, on parlait beaucoup de l’incident de Bernon, on en oubliait presque l’orage et l’incendie. Les paysans de Linnières avaient déjà vu brûler leurs maisons plus d’une fois, et le seigneur promettait de les dédommager de la perte du bétail et de faire reconstruire les maisons. Mais la dame était aimée dans le pays – Églantine aussi d’ailleurs, malgré sa folie – et il paraissait injuste que les gars du pays s’en soient pris à des femmes sans défense ; sorcière ou non, la pluie venue, la demoiselle paraissait devenue inoffensive, et elle était mourante.
Vers l’heure de sexte, un messager revint de Bernon, disant à Herbert la volonté de sa mère : si vraiment la nuit précédente lui avait fait comprendre ses torts, elle lui pardonnerait peut-être, mais ne promettait rien. Dans tous les cas, il devait aller à Bernon et demander publiquement pardon à Églantine. « À elle ? cria Herbert avec dégoût. On voit bien que ma mère me connaît. Elle ne pouvait rien inventer de pire. Que je lui demande pardon à elle ! Oui, je me mettrai à genoux s’il le faut, je me laisserai battre de verges. Mais qu’elle ne cherche pas à m’humilier devant une putain. » Le père Arthème, qui était encore là, lui conseilla pourtant d’obéir. « Pour devenir vraiment un autre homme, il faut plier son orgueil, cette jeune fille, dit-il, n’est peut-être pas plus pécheresse que vous. » Herbert lui lança un regard mauvais, puis, mettant sa cape sur ses épaules, il descendit dans la cour. « Après tout, pensait-il, si la fille est mourante, peut-être vaut-il mieux lui demander pardon. De quoi, grand Dieu ? elle ne m’a causé que des ennuis. J’aurai l’air beau, si elle en réchappe, et que ferai-je d’elle, après ? Hé, tant pis. Je verrai bien. » Il avait une telle envie de revoir sa mère qu’il était prêt à avaler la pilule. Mais, Dieu le savait, il éprouvait à présent pour cette fille qu’il avait aimée follement un dégoût et un mépris féroces. Le temps était encore trop proche où il l’attendait dans le pré derrière la chapelle, faisant les cent pas, le sang en feu – pouvait-il oublier qu’il s’était laissé griffer et mordre et insulter et qu’il y avait presque pris plaisir ? Une maîtresse qui ne lui plaisait plus lui était comme un objet malpropre, un linge souillé – celle-là surtout, celle-là qui, sachant qu’il était son frère, s’était donnée à lui, et l’avait aimé pour de bon – et c’est de cela qu’il fallait lui demander pardon, maintenant ?
« Enfin, pensait-il, peut-être aura-t-elle crevé avant que j’arrive. » Et en traversant la forêt à moitié brûlée, il essayait d’évaluer les dégâts.
L’AUTRE OISEAU ÉCRASÉ
Églantine, couchée sur le lit de la dame, entourée de coussins et de peaux, râlait doucement, la tête renversée en arrière. Elle avait repris ses sens, et s’était confessée au curé de Linnières. Elle avait été tout étonnée que ses fautes lui aient été remises, et ne savait plus que penser d’elle-même à présent. Elle souffrait beaucoup, elle avait le poumon perforé et la respiration lui était très douloureuse. Les autres plaies lui faisaient déjà moins mal, son corps s’atrophiait déjà.
« Ainsi donc, je vais mourir, pensait-elle, ils m’ont quand même eue. Et je n’ai plus le droit de leur jeter des sorts, puisque je me suis confessée. On m’enterrera
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