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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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d’une longue robe bleue comme celle de Marie, et avec la tête de Marie, avec, sur le visage, cette même expression épuisée et indifférente. Il se secoua et battit des paupières pour faire disparaître la vision. « Je deviens fou », se dit-il. Dans le baquet d’eau près du feu le visage de Marie le regardait de ses yeux fiévreux et tristes. La tête lui tourna et il s’allongea sur les dalles. « Il faut que cela finisse, pensait-il, m’oublier, boire, me saouler comme une brute. Après l’enterrement, j’irai à Troyes, déguisé, je la verrai à l’église. Personne ne saura. Ma parole ? Ah ! le diable l’emporte. »
    Parée, les cheveux peignés et disposés sur la poitrine en deux nattes courtes, Églantine était couchée sur la table, calme et belle. Elle paraissait revenue aux temps de son adolescence, au temps où elle portait encore de belles robes et soignait sa coiffure, au temps où son père était fier d’elle. Mais jamais encore on n’avait vu sur son visage cette majesté de reine. Et toute la maisonnée, et les paysans du village venus pour saluer la morte ne se souvenaient plus de son passé. C’était la demoiselle, la fille du maître qu’on enterrait, l’innocente sauvagement massacrée par des brutes. On racontait que les hommes de Linnières qui avaient pris part à l’attentat se cachaient dans les bois.
    Herbert était venu aussi s’incliner devant la morte, et les paysans et les valets rassemblés dans la salle tendaient le cou pour voir si aucun signe n’apparaissait sur le cadavre, on tenait Herbert pour le vrai coupable de tout ce qui s’était passé la veille. Gêné, Herbert détourna les yeux du visage de la morte ; il n’avait pas de remords, mais il sentait qu’on l’observait. La dame était là, mais avait tiré son voile sur sa figure. « Voilà bien des histoires pour une fille qui a fini comme elle le méritait », pensait Herbert. Il ne reconnaissait à personne le droit de la juger. Sa chose à lui, et il l’avait jugée à sa valeur et en avait fait ce qu’il avait voulu. Quel besoin les autres avaient-ils de s’en mêler ?
    La dame fit à sa fille adoptive des funérailles solennelles, et exigea d’Herbert qu’il fît punir les coupables ; elle les lui nomma tous. Du reste, il y avait eu rébellion notoire, elle-même et Milon avaient été blessés, cela demandait vengeance. Et Herbert, le premier moment d’attendrissement passé, ne se le fit pas dire deux fois. Au lendemain de la mort d’Églantine, l’étrange état de paix et de pardon qui avait suivi l’orage était oublié, comme si personne ne l’avait même senti. Toute la maisonnée de Linnières était sur pied, Herbert avait fait venir des soldats de Hervi, on déblayait les maisons brûlées, on calculait les pertes, les hommes battaient la forêt des alentours en quête des fuyards. Herbert fit un rapport au vicomte de Saint-Florentin et aux baillis du comte, et se chargea lui-même de faire justice : il était dans son droit, ses propres serfs ayant assassiné sa demi-sœur et attaqué sa mère. Aidé de Pierre et d’Haguenier, de Joceran de Puiseaux et de Jacques de Bruel, ses voisins les plus proches, il fit lier par ses soldats et battre de verges treize des coupables qu’on avait réussi à retrouver. Puis il les fit lacérer à coups de serpe et de lance par ses soldats, chacun reçut autant de blessures qu’il y en avait eu sur le corps d’Églantine. Ensuite il les fit pendre sur les arbres qui entouraient le village. Et longtemps encore on devait parler dans le pays des sanglantes funérailles faites à la folle demoiselle de Bernon.
    Puis Herbert remit la direction de ses domaines à Haguenier et partit en pèlerinage pour Notre-Dame du Puy, sans avoir obtenu de sa mère qu’elle lui montrât son visage. Il en était assez affligé ; mais ces journées de sang et de représailles l’avaient rendu à lui-même, il se sentait de nouveau sûr de lui et de ses droits, et sûr d’obtenir de la Vierge le pardon dû à ses bonnes intentions. ,
    Du reste, pensait-il, ce pèlerinage tombait bien. Le curé de Hervi lui en voulait pour sa cruauté envers les paysans de Linnières et pouvait aussi vouloir tirer au clair l’affaire de l’inceste, il valait mieux se faire oublier pour quelque temps. De plus, depuis qu’il avait maigri il était tout heureux de pouvoir aller à cheval, et changer un peu de pays. Il n’avait jamais encore vu Le

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