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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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hier. Si j’arrive à le faire boire autant qu’il faut aux noces de mon fils, c’est un homme fini dans les trois semaines. Pour ce qu’il profite de la vie à son âge ! Il ne fait que tourmenter ma sœur et les siens. » Et il faisait déjà ses plans pour l’organisation du domaine de Buchie.
LA GRANDE PITIÉ
    L’air de midi pesait lourd sur les pierres noircies des maisons. Le hameau venait de brûler, on sentait encore les âcres odeurs de peaux calcinées, de laine roussie ; çà et là, sur les tas d’ordures devant les maisons, la paille pourrie fumait encore. Perché sur la pente dans les rochers, le petit bourg noir exhalait sa chaleur morte dans l’air bleu chauffé par le soleil. « Pas de chance, dit Riquet, pas une maison habitée. Partis, les paroissiens ! Reste à voir s’ils ne nous ont pas laissé quelque bon petit veau gras, vitulum saginatum, rôti tout vivant.
    — Il n’y a pas d’autre veau dans ce pays que toi, dit Auberi. Heureux si nous trouvons une chèvre morte de faim.
    — Pouah ! Ça me mange les yeux, dit Riquet. Par saint Éloi, nous n’aurons que de la crotte de corbeau pour viande, ce soir. Nous ne trouverons plus âme qui vive d’ici jusqu’à Avignon. Si les écorcheurs montent jusqu’ici, c’est qu’ils ont faim.
    — Bon, dit Ansiau, nous pouvons toujours voir s’il y a de l’eau dans le puits, pour remplir la gourde. »
    Les jeunes gens se penchèrent sur le puits abandonné. Une odeur fétide en montait. On n’y voyait plus d’eau. « C’est plein de fumier, dit Auberi.
    — Et d’autre chose, dit Riquet, Descendons, nous trouverons bien un ruisseau dans le creux du défilé, après les pluies de dimanche dernier. »
    Le chemin rocailleux grimpait et enlaçait le rocher gris où la mousse logeait dans les fentes. Dans le ciel bleu des vautours planaient. Les pèlerins descendaient vers la route d’Uzès, pensant redescendre après vers le Rhône à Beaucaire, en longeant le Gard. Ils voyaient parfois des bandes armées passer en bas dans la vallée, c’étaient des routiers affamés galopant vers Nîmes et vers Montpellier dans l’espoir de pillage ou de solde. Et en les sachant si près le vieux lui-même se signait et retenait son souffle, et disait : « Je voudrais déjà être de l’autre côté du mont. »
    Et la faim devenait si douloureuse à supporter qu’il fallait se bander l’estomac avec la cape de laine roulée et nouée en trois tours sous les côtes. Auberi avait des coliques, se couchait ventre à terre et pleurait. Et Riquet avait des bourdonnements aux oreilles et prétendait entendre les cloches du paradis. Après deux jours de marche ils arrivèrent à un castel fortifié dont le maître refusa de baisser le pont, par peur d’un guet-apens, mais leur fit descendre du pain noir et des figues sèches par la fenêtre du guetteur.
    Le vieux, qui avait une bonne expérience de la faim après ses deux croisades, savait comment on traite les estomacs vides ; il cacha toutes les provisions dans sa besace, et ne donna d’abord aux deux jeunes gens que deux figues à mâcher en route. « À la fontaine, dit-il, je vous donnerai une tranche de pain. » Auberi avait des larmes qui lui coulaient dans la bouche et sur le menton. Mais Riquet était de bonne trempe : il continuait à plaisanter comme il avait dû le faire aux beaux temps de son moinage.
    « Toi, dit Ansiau, c’est bien dommage que tu ne te sois pas fait valet de quelque chevalier du pays. Tu aurais pu faire un bon écuyer. Mais à ton âge – peuh ! – avec tes bras de femme, on ne te prendrait même pas pour les travaux d’écurie.
    — Riquet, regarde, dit Auberi, il y a un homme devant la fontaine. »
    L’abreuvoir aux moutons était un peu à l’écart de la route ; autour du maigre filet d’eau qui s’échappait de l’auge de pierre l’herbe poussait plus dru. Des troupeaux avaient dû passer là il y avait peu de jours, car le ruisseau était tout boueux et l’herbe piétinée, on voyait aussi du crottin de mules et de chèvres et des traces de roues. Sans doute les paysans du village brûlé avaient-ils rejoint cette route.
    Sur une grosse pierre roulée devant l’auge un homme était assis, la tête penchée sur ses genoux. Ses pieds trempaient dans la boue du ruisseau. Au bruit des voix, il se redressa péniblement et se mit à chanter d’une voix cassée, aux inflexions un peu sifflantes : Beati misericordes quoniam ipsi

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