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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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Chantemerle quitta Castres pour retourner dans le Nord avec sa troupe, Haguenier lui confia une lettre pour la dame de Pouilli. Il y avait roulé une feuille où il avait écrit des vers, pensant bien qu’Aielot saurait en deviner la destinataire.
    « Très chère et bien-aimée sœur, ma très douce amie devant Dieu et devant les hommes, Notre Doux Seigneur et Roi Jésus-Christ et sa Glorieuse Mère vous aient toujours en leur amour, aide et protection.
    « Une fatigue peu grave due aux coups que j’ai reçus en service de Dieu me force à rester en ce pays plus longtemps que je n’aurais dû, et me prive de la joie de vous revoir en ce mois-ci. Cette séparation m’est très dure et vous m’en voyez bien affligé. À Dieu ne plaise que vous doutiez jamais, sœur très aimée, de la grande tendresse que je vous porte et de la loyauté et de la fidélité de mon amour. Sachez que votre amitié et votre bonheur me sont plus précieux que tout au monde hormis une seule chose. Pour l’amour de moi, prenez soin de votre santé, ne vous causez pas de fatigues ni de soucis, et surtout ne soyez pas inquiète pour moi. Cela me causerait beaucoup de peine. Dieu ait en sa garde vos petits enfants et Jacques, mon frère. »
    Sur l’autre feuille il avait soigneusement recopié, après maints brouillons, des mots qu’il avait composés pour être chantés sur l’air bien connu d’un poème du châtelain de Coucy.
    Printemps fleurit sur les monts et la plaine
    Blancs comme neige sont tous les vergers
    Seule mon âme est toujours de deuil pleine
    Et rien ne peut en joie mon deuil changer,
    Je me languis en pays étranger
    Au loin de celle qui cause ma peine.
    Heure ne passe, ni jour ni semaine
    Depuis qu’Amour me mit en sa prison
    Que dans mon cœur ne grandisse la peine
    Qui mord mon cœur et qui tue ma raison.
    Jamais il n’y eut de plus mortel poison
    Que de ses yeux la lumière sereine.
    Dans un pré vert au bord d’une fontaine
    Mes yeux ont mis mon cœur en sa prison.
    J’y ai goûté la douceur de ma peine,
    En recevrai-je jamais guérison ?
    Par sa beauté j’ai perdu ma raison
    Tout seul j’ai bu la boisson de Brangaine.
    Car j’aime celle qui tue ma raison
    Plus que Tristan n’aima Iseut la Reine
    Plus que Pâris n’aima jamais Hélène
    Plus qu’Énéas n’aima noble Didon.
    Cette chanson qui se terminait sur un vers si malencontreux, Haguenier l’avait composée dans une exaltation dont il ne s’était jamais cru capable autrefois. Car sa maladie l’avait livré au pouvoir de Marie plus qu’il n’avait voulu ni pensé. Tant qu’il était encore trop faible pour contrôler ses pensées, son imagination se nourrissait d’images si merveilleusement belles, et presque effrayantes par leur intensité : comme si, pour la première fois, il découvrait ce qu’était la beauté de Marie. Devant elle, il avait été gêné, soucieux de ne pas déplaire, dépité de la sentir si froide. À présent elle était loin et hors d’atteinte, les barrières étaient tombées, il vagabondait en pleine folie.
    Rien ne l’empêchait plus de contempler à loisir ce mince cou rose pâle sous les reflets dorés du baldaquin, et ces grands yeux bleu gris pailletés d’émeraude, entre les délicates paupières roses un peu enflées, et cette bouche petite et rêveuse, et cette lumière blonde que les fines mèches de cheveux dorés jetaient sur le visage, ce visage qui devenait si facilement pâle et rose, il était rayonnant de chaleur douce et délicat au toucher comme une grande fleur ; mais sur quelle fleur a-t-on jamais vu ces yeux brillants, de forme si pure qu’aucun orfèvre n’eût jamais pu ciseler d’aussi splendides bijoux, ni les enchâsser aussi finement dans ces paupières aux cils bruns… Quand il était en bonne santé, jamais Haguenier n’avait tant osé, car il s’imaginait baisant à loisir, longuement, tous ces cils, et les coins des yeux, et jusqu’à la moindre parcelle de peau de ces lèvres délicates, et le creux de cette main où il avait bu, et les veines du poignet. Et il ne pouvait s’en lasser, car il pensait : « Ce n’est qu’un rêve », encore, et encore et encore là, sur ses paupières je pose ma bouche, doucement pour ne pas lui faire mal, puis là entre ses sourcils, puis contre sa narine rose, et là au coin de sa bouche encore, puis ce sera fini. Puis il avait envie de lui embrasser le cou, et les salières, et le creux de la nuque, puis il faisait

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