22 novembre 1963
Marie.
Chez sa sœur il apprit que sa femme était enceinte de quatre mois, et qu’Herbert attendait avec impatience la venue d’un petit-fils. Herbert du reste était lui-même à Troyes, son beau-frère, le sire de Buchie, venait de mourir, et Herbert, en tant qu’oncle de l’héritier, voulait s’assurer la tutelle. Haguenier fut donc obligé d’aller présenter ses respects à son père.
Herbert avait maigri, et était vêtu avec plus de recherche que jamais. Il avait les yeux brillants et paraissait jeune. Il parut content de voir son fils et l’embrassa sans cérémonie. « Eh bien, dit-il, c’est ainsi que tu défends l’honneur du nom, fils de chienne ! Tu donnes un coup de lance et tu en tombes malade pour deux mois. Tu n’iras pas loin, de ce train-là. » Il parlait sur un ton plaisant, mais Haguenier n’en fut pas moins peiné.
« Il peut arriver à tout le monde d’être blessé », dit-il. Herbert lui donna une tape sur la poitrine. « Là, dit-il. Blessé, non, mais c’est le cœur qui ne tient pas le coup. Pierre m’a dit que c’était le cœur. Mauvaise affaire, hein ? Si seulement ta sœur était un garçon, tu aurais eu tout le loisir de te reposer, dans un couvent. Enfin, j’espère que d’ici peu ta femme me donnera un petit-fils, et je suis encore assez jeune pour le voir grandir.
— À vous entendre, on croirait que vous m’avez déjà enterré, dit le fils, en souriant un peu jaune.
— Dieu m’en garde ! Un beau garçon comme toi ! Je te tiendrai en laisse à présent, et je veillerai à ce que tu ne fasses pas trop de folies. Tu vas rentrer à Linnières avec moi, et je ne te laisserai pas passer ton temps à cheval sur les routes, à faire la navette entre Troyes et Mongenost. »
Haguenier fut si surpris d’entendre son père prononcer ce nom qu’il devint très rouge, ce qui fit rire Herbert.
« Tu crois donc que je ne sais rien ? La femme est belle. Très belle même, je m’y connais. Mais pour arriver à coucher avec elle, il faut être autrement fait que toi. Ce ne sont pas la beauté ni les belles manières qu’il leur faut, à ces femmes-là ; un homme comme moi l’aurait plus facilement que toi. Toi, elle te fera seulement écrire des chansons et faire le beau comme un chien dressé. Va, je te trouverai plutôt une belle petite garce que tu emmèneras avec toi à Lumières. »
Haguenier dit : « Merci, je n’en ai pas besoin. Et n’oubliez pas que je suis majeur, et que je peux aller où je veux.
— Fort bien, mais sans argent on n’est pas chevalier. Tu as dépensé tous les revenus de ta femme pour deux ans et tu n’as plus rien. »
Haguenier demanda à sa sœur de lui prêter de l’argent, mais elle ne put lui en promettre avant la Toussaint. « Jacques touchera alors son dû sur son fief des péages du pont de Païens, il sera trop content de vous en donner une partie, car il admire beaucoup la dame de Mongenost. Mais avant, nous n’aurons même pas de quoi acheter des cierges pour les messes de dimanche. Et puis, de toute façon, il vous faut aller voir votre femme ; je suis sûre qu’elle a plus d’un tour dans son sac, et elle est au mieux avec les prêteurs de Chaource. »
Haguenier traversa encore une fois la Seine, mais cette fois-là il ne trouva à Mongenost que le maître du château, qui, rentré de chasse, faisait tanner les peaux dans la cour. Haguenier dut donc se contenter d’admirer les magnifiques dépouilles de cerfs et de renards que Mongenost lui montra avec complaisance ; et il partit tout mélancolique. La dame, avait dit Mongenost, était au lit, et s’excusait de ne pas le recevoir.
« C’est donc là son maître ! pensait le jeune homme en remontant sur le bac, ce n’est pas une plaisanterie que d’aimer une dame mariée. Oui, quoi qu’on en dise, mieux vaut donner son cœur à une jeune fille. Jamais je ne pourrai me résigner à l’idée que cet homme peut la prendre dans ses bras et la caresser tant qu’il lui plaît. Et pourtant, il faut bien que je m’y résigne. » Mongenost pouvait bien avoir quarante ans, mais ce n’était pas un homme laid ni déplaisant, il était grand, maigre, fier d’allure, et portait une barbe noire fort soignée et coupée en collier. Mais c’est vraiment contre nature de marier une aussi jeune femme avec un homme plus vieux que mon père. «…Et cela fait déjà huit ans qu’elle est mariée. » Il essayait d’imaginer quels pouvaient
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