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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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livre, et tendit la main au visiteur.
    Chose étrange, il ne la reconnut pas d’abord. Elle ne paraissait pas très belle, en sa robe de laine brune, les cheveux cachés par une coiffe, le visage pâle et le nez gonflé par un rhume. Elle avait l’air fatigué et triste, et se serra frileusement dans sa cape, en offrant à Haguenier une place à côté d’elle.
    « J’ai beaucoup entendu parler de votre prouesse, dit-elle, votre sœur n’a pas d’autre propos à la bouche. » Elle sourit gentiment, mais Haguenier crut comprendre que les bavardages d’Aielot l’avaient plutôt ennuyée.
    « Ma sœur est trop indulgente et vous trop bonne, dame. Je n’ai rien fait qui vaille d’être loué. » Il ne savait plus quoi dire, et regardait les fins doigts couverts de bagues serrer les plis de la cape. Il pensait : « Elle a froid », et cette pensée le remplissait de tendresse et de désir.
    Il avait presque craint d’être foudroyé par la vue de sa dame, et voilà qu’Amour, par une ruse subtile, la lui montrait privée de son éclat, humble et frêle dans son enveloppe charnelle ; si périssable, si délicate, une simple femme soucieuse de paraître agréable à un visiteur. Et, en levant les yeux sur ce visage sur lequel il avait sans se lasser posé ses lèvres dans ses rêveries, il le découvrait plus touchant qu’il ne l’avait jamais imaginé – si proche de lui, à peine quelques pouces – tiède et moite, et un peu rougi par le feu ; et à présent, il n’éprouvait plus le respect et la crainte d’autrefois, mais seulement une envie folle de la saisir, de la réchauffer, de la bercer, de l’étouffer de caresses, de lui répéter sans fin et sans fin des mots tendres – Dieu sait pourquoi à ce moment-là la chose lui paraissait possible, et même dans un avenir très proche, et même inévitable.
    Si grande était la douceur de cette entrevue que Marie elle-même se sentait gagner par la tendresse qui rayonnait dans les yeux de son soupirant. Malgré ses habits de voyage et son menton mal rasé il était éclatant de beauté. Il parlait de choses indifférentes, et pourtant il avait l’air d’un homme qui vient de communier un dimanche de Pâques. Et Marie le regardait avec attendrissement – comme il avait maigri, comme ses yeux s’étaient agrandis, comme ses paupières étaient brunes. À présent, il était auréolé pour elle de tous les dangers et de toutes les fatigues d’une croisade, passé par le feu – un homme et un guerrier, pour lequel il n’y a pas de honte à avoir une faiblesse.
    Elle fut donc charmante avec lui. Elle lui reprocha seulement, avec une colère rieuse et quelque peu affectée, de l’avoir comparée à Didon, et lui-même à Énéas. « Je sais bien, dit-elle, que chez les poètes la rime excuse toutes les folies, mais songez vous-même qu’aucune dame ne voudrait se trouver dans la situation de l’infortunée Didon.
    — Pardon, dame, dit Haguenier en souriant, j’ai fait une erreur, mais n’oubliez pas que j’ai écrit que j’aimais ma dame plus qu’Énéas n’aima Didon. »
    Marie éclata de rire. « Quelle mauvaise excuse ! On voit bien que vous avez fait votre éducation en Normandie. Mais paix ! Je vous pardonne, à condition toutefois que vous m’écriviez une chanson qui vaille mieux que l’autre.
    — J’en ai une dans ma manche, dit-il, elle ne doit guère valoir mieux, mais il n’y est pas question de Didon.
    — Donnez, et voyons cela. » Marie parcourut le parchemin de ses yeux et fronça les sourcils. « Cela ne vaut guère mieux. Votre dame, à moins d’être une femme impudique, ne peut être contente de se voir comparée à Méduse, Vénus et Diane, déesses païennes et créatures du diable. Certains jongleurs vulgaires aiment écrire ces choses-là pour paraître savants, mais une noble dame ne peut accepter de telles chansons. »
    Quand Haguenier se leva pour faire ses adieux, Marie devint tout à coup froide et sèche et ne voulut même pas lui donner sa main à baiser. Haguenier partit donc triste, inquiet, tiraillé entre l’envie de rebrousser chemin pour demander à la dame la raison de sa froideur, et la peur de la mettre en colère. Et il ne voyait plus le chemin, et ne pensait plus à sa rencontre prochaine avec Aielot, et son cœur était comme une pierre lourde et sa tête comme une cloche sans battant. Il savait qu’il n’aurait plus une minute de paix avant d’avoir revu

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