4 000 ans de mystifications historiques
Allemagne fédérale grâce à son frère, général des douanes, mais que, jusqu’à versement intégral de la somme, le marché devait demeurer totalement secret et qu’aucun spécialiste ne devait en être informé, pour des raisons évidentes de sécurité. Incidemment, une certaine incertitude régna sur le nombre de cahiers dus à la plume de l’un des psychopathes les plus criminels du XX e siècle.
Heidemann exposa l’affaire à son journal. Celui-ci décida de partager le scoop et les frais avec l’hebdomadaire américain Newsweek , et Rupert Murdoch, propriétaire du Times et du Sunday Times , tenta de négocier un accord avec Newsweek .
En février 1983, Heidemann rapporta à son journal les trois premiers cahiers. Il en récupérerait ensuite douze autres. C’étaient des cahiers d’écolier, à la couverture rigide noire, parfois garnis du sceau à l’aigle nazie, parfois des initiales « A. H. » ; tous portant un cachet de cire rouge et une note dactylographiée, signée Martin Bormann, spécifiant que ces documents étaient la propriété du Führer.
Incidemment, Heidemann n’avait pas fait une mauvaise affaire : il recevait de son journal 80 000 marks pour chaque cahier, mais en donnait seulement 50 000 à Fisher. Aussi avait-il besoin d’argent : il s’était lourdement endetté pour restaurer le fameux yacht du maréchal aux ongles laqués.
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Comme on s’y serait attendu, l’aspect et l’état des documents semblaient correspondre à leur ancienneté, cinq ou six décennies. Mais la lecture des textes, rédigés dans l’ancienne écriture gothique, fut souvent décevante : on y trouvait des transcriptions littérales des discours et proclamations de Hitler, déjà publiés in extenso par l’historien allemand Max Domarus.
Les passages plus personnels laissaient parfois perplexes. Ainsi, l’admiration de Hitler pour le « professionnalisme froid » de Chamberlain n’avait aucun sens : les échanges entre hommes d’État d’autrefois n’étaient guère caractérisés par des effusions, et c’étaient tous des professionnels, pour dire le moins. Hitler en avait assez vu en 1938, après cinq années de pouvoir, pour le savoir. Par ailleurs, l’assertion de l’auteur présumé des journaux, selon laquelle il avait été informé à l’avance de la fugue de Rudolf Hess en Angleterre en 1941, ne correspondait guère à la colère qu’il avait alors piquée.
L’éminent historien britannique Hugh Trevor-Roper conféra aux documents retrouvés le cachet de l’authenticité. En réalité, Trevor-Roper avait été influencé par la quantité de ces documents et s’était dit qu’on pouvait à la rigueur fabriquer une ou deux pages de faux, mais certes pas autant à la fois.
Or, c’étaient des faux.
Tous les acteurs de cette mystification monumentale – et coûteuse pour les victimes – avaient été d’une inconcevable naïveté doublée d’une ignorance abyssale.
Le faussaire pour commencer : le prétendu Konrad Fisher, qui s’appelait en réalité Kujau et qui s’était spécialisé dans la fabrication de fausses reliques du nazisme et des aquarelles « authentiques » de Hitler. Il avait ainsi couché des notes datées du soir de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 ; or, le dictateur avait eu, ce jour-là, le bras droit blessé par l’explosion de la bombe qui lui avait été destinée, et diverses photos le montrent avec le bras en écharpe dans les jours qui suivirent. Il n’aurait donc pas pu tenir une plume.
Kujau ne s’était décidément guère intéressé au personnage de Hitler, sans quoi il aurait su que ce dernier n’avait jamais maîtrisé l’orthographe et s’oubliait au point d’écrire Liber Herr , ce qui vaudrait un « Chair Monsieur », en français. Il ne surmonta jamais ce handicap. Or, il n’y a pas une faute dans les textes qu’il s’évertua à fabriquer.
Kujau ignorait également que le premier manuscrit de Mein Kampf avait été copieusement corrigé avant d’être envoyé à l’imprimeur, en raison de ses maladresses et de ses fautes d’allemand.
Kujau ne s’était pas non plus soucié de savoir s’il n’existerait pas des proches survivants de l’entourage de Hitler ; or, Christa Schroeder, l’ancienne secrétaire du dictateur, vivait encore, et elle témoigna que Hitler n’écrivait quasiment plus jamais rien de sa main.
Ce faussaire avait enfin sous-estimé la finesse des
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