4 000 ans de mystifications historiques
recherche scientifique est d’être désintéressée ; mais justement, cette recherche-là avait été entreprise à des fins techniques et pratiques ; faute de résultats, elle eût dû être abandonnée. Un certain désintérêt, aiguillonné par le scepticisme des uns et les sarcasmes des autres, atténua progressivement l’ardeur des militaires pour la guerre psychique, qui se tournèrent vers des objectifs plus réalistes, comme la guerre bactériologique et les boucliers antimissiles. La fin de la guerre froide dilua peu à peu les mirages d’armes psychotroniques.
Néanmoins, dans le cadre de l’opération Stargate de la CIA, en 1986, un groupe de médiums fut chargé de localiser le colonel Kadhafi avant le raid sur la Libye cette année-là.
En 1994, l’ex-président Jimmy Carter raconta qu’à l’époque où il était à la Maison Blanche, un médium de la CIA était entré en transes devant une carte du Zaïre et avait pu localiser le lieu exact d’un accident d’avion qui avait échappé aux satellites américains.
Illuminés et mystificateurs avaient fait florès dans une fantasmagorie pseudo-scientifique qui avait duré plus de trente ans, aux côtés de chercheurs authentiques, éperonnés par un mythe planétaire et incontrôlable.
L’examen de ce chapitre extravagant offre un éclairage nouveau sur les mécanismes de l’histoire, trop longtemps réduits à des conflits nationaux, militaires ou économiques : c’est celui de la psychologie collective. Pendant un tiers de siècle, de grandes puissances dépensèrent des centaines de millions de leurs devises dans la recherche d’armes qui, déguisées de jargon technique, ne valaient guère plus que les malédictions de sorcières d’antan.
Ces puissances s’étaient mystifiées elles-mêmes.
1983
Les prétendus journaux intimes
de Hitler et Mussolini
En avril 1983, le grand magazine hebdomadaire allemand Stern annonça que le journal intime d’Adolf Hitler avait été retrouvé. Constitué de soixante-deux cahiers, il aurait contenu les notes du futur Führer de 1924 à sa fin. C’était le scoop du siècle. L’émotion du public fut considérable, pour des raisons qui ne devaient souvent rien à l’intérêt historique de ces documents, mais à la fascination malsaine pour l’un des personnages les plus ignobles et les plus minables des temps modernes.
Les circonstances de la découverte exigeaient des explications : en 1980, un reporter photographe du journal, Gerd Heidemann, spécialisé dans la recherche et l’acquisition de vestiges du nazisme, fit la connaissance d’un autre maniaque de hitleriana , Fritz Stiefel, qui avait monté un véritable petit musée Hitler près de Stuttgart. Heidemann était possédé par la nostalgie nazie ; il avait ainsi acquis le yacht de Goering, le Carin II , rafiot vermoulu dont la restauration lui avait coûté une petite fortune, et, comble de fidélité à l’époque la plus délétère de son pays, il avait été l’amant de la fille de Goering. Stiefel lui montra un cahier à la couverture noire portant les initiales « A. H. » ; mais il précisa qu’il ne lui appartenait pas : il était la propriété d’un certain Konrad Fisher, qui vivait près de Stuttgart. Selon ce dernier, le document avait été retrouvé dans la maison d’un habitant de Boernersdorf, un village en Allemagne de l’Est. Et il y avait là-bas vingt-sept autres cahiers.
Boernersdorf. Le nom déclencha une étincelle dans la cervelle d’Heidemann. Vers la fin de la guerre, en effet, Hitler avait fait transporter par avion une dizaine de malles de documents, pour les mettre en lieu sûr ; mais le Junkers 352 qui servait de courrier s’était écrasé dans la foret d’Heidenholz, près de la frontière tchécoslovaque, non loin de Boernersdorf. Équipage et cargaison avaient été perdus. Heidemann connaissait l’histoire : il s’était rendu dans ce village et avait relevé au cimetière deux tombes portant la mention Unbekannt , « Inconnu » ; il disposait maintenant de la preuve que la cargaison n’avait pas été entièrement détruite : le cahier.
Aveuglé par la certitude de sa « découverte », Heidemann négligea de se renseigner sur le nommé Fisher.
En 1981, les négociations commencèrent. Fisher demandait 2,5 millions de marks pour le total des cahiers, plus un exemplaire manuscrit de Mein Kampf . Fisher déclara qu’il pouvait faire expédier le tout en
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