4 000 ans de mystifications historiques
l’autre afin de satisfaire aux diktats du Kremlin. L’historien cesse à la fin de l’être pour se changer en propagandiste.
Divers efforts ont été faits ces dernières années pour corriger ces dérives. Plusieurs d’entre eux méritent des éloges, mais beaucoup m’ont semblé excessivement respectueux à l’égard de certains mythes : ils ne les ont tout simplement pas mentionnés.
Le lecteur aura deviné la raison de ces pages. Peut-être demandera-t-il s’il est possible à un seul historien, non universitaire, de couvrir d’aussi larges domaines que ceux qui y sont évoqués. La réponse est qu’en un demi-siècle de recherches on peut apprendre et découvrir bien des choses demeurées dans l’ombre, même celles qu’on ne cherchait pas. Plusieurs des domaines dont il est ici question, dont ceux de l’histoire antique, des sources du christianisme et de la Seconde Guerre mondiale, m’étaient déjà familiers.
L’histoire de l’Égypte, par exemple, me porta à m’interroger sur certains de ses personnages les plus célèbres, tel Ramsès II qui fut, alors que j’étais enfant, puis adolescent, l’objet d’une vénération quasi religieuse dans son pays (l’une de ses colossales statues s’élevait sur la place de la Gare, au Caire, avant qu’on la déplaçât au musée, pour lui épargner la pollution). Je finis par interroger des égyptologues de mon entourage et leurs analyses me conduisirent vers la conclusion exposée dans ces pages : ce monarque fut l’un des premiers inventeurs de la propagande.
Parallèlement, la quasi-sanctification dont Socrate faisait l’objet de la part de mes professeurs de grec et de latin finit aussi par susciter mes soupçons, après avoir excité ma curiosité. Ces soupçons me lancèrent dans une enquête de plusieurs décennies sur ce que put être l’enseignement d’un maître qui ne voulait pas être un professeur et d’un penseur qui n’a pas laissé un seul mot écrit.
L’adolescence passe au tamis le grain que ses aînés lui donnent à moudre.
De mes recherches sur les sources du christianisme, qui ont fait l’objet d’autres ouvrages, on ne trouvera ici que deux ou trois points saillants, qui me semblent faire l’objet de non-dits décidément pesants.
Enfin, la Seconde Guerre mondiale est un domaine qui reste inépuisable, comme en témoignent les flots d’ouvrages qui s’efforcent de la raconter et de l’expliquer depuis plus de six décennies. Je n’ai cessé, depuis le choc que me causèrent les photos des premières victimes des camps de la mort, d’interroger ceux qui en vécurent tel ou tel chapitre, de consulter les archives accessibles et de lire tout ce que je pouvais lire à ce sujet.
Ainsi tombai-je parfois sur des personnages dont certains suscitaient mon admiration depuis l’enfance, tel Orde Wingate, mystificateur de génie, ou des mystificateurs pathologiques, tel Trebitsch Lincoln, juif pronazi. Ainsi découvris-je aussi des légendes douteuses et des mystifications pudiquement voilées.
En somme, ces pages sont en quelque sorte une manière d’autobiographie, en même temps qu’un tour commenté de ma bibliothèque.
PREMIÈRE PARTIE
LES MYSTIFICATIONS
DU MONDE ANCIEN
XIII e siècle av. J.-C.
Ramsès II : grand pharaon
et premier grand mythomane
De tous les pharaons connus du grand public occidental, Ramsès II est avec Tout-Ankh-Amon l’un des plus célèbres. Ce dernier, éphémère roitelet, doit sa notoriété à l’émotion que suscita la découverte de sa tombe par Howard Carter en 1929 et aux trésors qu’elle révéla ; le premier doit la sienne à la profusion de monuments colossaux qu’il érigea sur le territoire égyptien et à ses statues gigantesques, dont celles que l’Unesco déclara partie du patrimoine mondial de l’humanité et qui furent surélevées dans les années 1960, lors de la construction du Grand Barrage sur le Nil. Ce legs formidable fait à ce jour l’admiration des touristes, aussi bien que des égyptologues.
Ramsès II fut aussi l’organisateur de la plus grande mystification du monde antique.
En 1274 avant notre ère, âgé de vingt-six ans, couronné depuis cinq ans, il lança quatre divisions dans une campagne destinée à reconquérir la place forte de Qadesh, sur l’Oronte, en Syrie, que les Hittites, peuplade du nord-est de la Méditerranée en conflit latent avec l’Empire égyptien, avaient enlevée quelques années plus tôt. Il
Weitere Kostenlose Bücher