4 000 ans de mystifications historiques
comme dans plusieurs autres pays européens, une véritable discipline sous l’impulsion d’Ernest Lavisse, les historiens s’avisèrent de trois faits : d’abord, cette discipline tenait une place fondamentale dans la culture, car elle ouvrait l’esprit à la compréhension du monde ; elle devait donc, à ce titre, être associée à la géographie ; ensuite, elle exerçait une influence politique et, de ce fait, elle était elle-même influencée en retour par la politique ; or, celle-ci étant tributaire de l’éthique, du moins en principe, il s’ensuivait que l’historien devait la respecter aussi. Il eût été immoral, par exemple, de représenter un tyran ennemi comme un monarque éclairé, comme il était immoral de décrire comme un pleutre ou un incapable un roi dont la dynastie régnait toujours. Ce fut ainsi que Néron, ennemi supposé du christianisme, fut représenté comme un monstre.
Enfin, sans prétendre à être une science exacte, au même titre que les mathématiques ou la chimie, l’histoire devait néanmoins se fonder sur les documents et s’aider de disciplines telles que l’économie, la sociologie, l’ethnologie, l’évolution des sciences et des techniques, et – en Allemagne en particulier – la philosophie.
Tout à la fois, l’histoire s’enrichit donc et devint plus rigoureuse dans ses interprétations. Progressivement, elle s’affranchissait des mythes et de la manipulation politique.
Une telle évolution ne pouvait se faire sans bouleverser des habitudes de pensée et des traditions souvent entretenues depuis des siècles, non seulement chez les instituteurs, mais aussi dans les milieux académiques. Elle entraînait en effet la remise en question de bien des idées ancrées dans les cultures nationales. Dès le XIX e siècle, Fustel de Coulanges, auteur de La Cité antique , dénonçait le mythe de la liberté dans l’Antiquité. Scandale : le citoyen romain, ce modèle – imaginaire – de l’homme accompli, n’était donc pas libre ? Non, la liberté est une idée récente en histoire.
Au début du XX e siècle, le philosophe italien Benedetto Croce, désabusé, déclarait que « toute histoire est roman et tout roman, histoire ».
Les protestations indignées fusèrent contre ces révisions, qualifiées tour à tour de positivistes, de négativistes (ce qui n’avait rien à voir avec le négationnisme), d’antipatriotiques ou de cyniques, mais qui étaient en tout cas rejetées par certains courants idéologiques. En France, par exemple, les mythes de « nos ancêtres les Gaulois » et de « Jeanne d’Arc qui bouta les Anglais hors de France » demeurent particulièrement tenaces. Même dans l’histoire récente, on a vu des fabrications à l’encontre de toutes les évidences.
Puis un accident fâcheux et même détestable advint : après la Seconde Guerre mondiale, quelques historiens, eux-mêmes intoxiqués par des mythologies, prétendirent que le nombre de juifs assassinés « scientifiquement » par les nazis avait été démesurément gonflé, que les chambres à gaz étaient une invention concoctée par des juifs et que le Zyklon B n’avait servi qu’à désinfecter les prisonniers…
On se méfia alors des négationnistes, comme on les appela. La surabondance des preuves contraires finit par discréditer leurs thèses, et diverses lois, avec sanctions assorties, réprimèrent leurs discours. La mesure était drastique, mais un peu moins de véhémence de leur part leur eût sans doute épargné ce sort.
Les révisionnistes reprirent alors leur inventaire des mensonges, mystifications, omissions et fabrications du passé…
*
Ici se pose une question troublante : les historiens responsables de ces erreurs étaient-ils des ignorants ? Non : les documents qu’ils avaient patiemment mis au jour de génération en génération le démontrent amplement. Il suffit de les consulter pour s’assurer des erreurs.
Étaient-ils alors de mauvaise foi, sinon des menteurs eux-mêmes ? Pour outrancière qu’elle soit, l’accusation est un peu plus fondée, mais elle doit être si fortement nuancée qu’elle perd une grande part de son poids. Ces hommes (on compte peu de femmes dans leurs rangs) ont souvent modifié l’interprétation des faits pour démontrer ce qu’ils considéraient comme une vérité ; c’est-à-dire qu’ils ont sacrifié la réalité à l’idée.
Parfois aussi, l’historien est à son insu
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