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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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directement chez lui. Une fois dans sa chambre, il se hâta de se débarrasser de ses vêtements trempés de sueur, puis il s’assit sur le banc devant la fenêtre. Il resta longtemps ainsi, baigné par le clair de lune, jusqu’à ce que disparaisse le kaléidoscope des images de solitude et de désespoir. Alors seulement, il se glissa dans son lit étroit logé dans l’alcôve. Il avait les jambes lourdes et le dos raide comme tous les soirs après une journée passée à alimenter les fourneaux sous les cuves à grandes pelletées de charbon. Il craignit un instant de ne pouvoir s’endormir par crainte que les cauchemars viennent hanter son sommeil, mais à peine eut-il posé la tête sur le traversin et fermé les yeux pour se protéger de l’éclat argenté de la lune qu’il s’enfonçait dans les ténèbres bienfaisantes de l’oubli.
    Le samedi suivant, après une autre semaine de chaleur accablante où il n’avait fait que travailler, manger et dormir, Charging Elk serra sa paye, qui se montait de nouveau à vingt-huit francs et trente centimes, dans le portefeuille qu’il glissa dans le sac de toile.
    Il alla au fond du couloir remplir son broc au robinet, prêtant à peine attention à l’odeur pestilentielle qui s’échappait des toilettes situées en face. Bien qu’il eût grandi en respirant l’air pur des plaines, il avait fini par s’habituer aux odeurs d’égout, ainsi que de viande, de fruits pourris et d’ordures qui s’empilaient au bord des trottoirs. Le Vieux-Port sentait particulièrement mauvais à cause des eaux usées qui s’y déversaient. Le spectacle des chalands ancrés d’un côté du port qu’on remplissait de déchets de toutes sortes, cadavres de rats, de chiens et autres et qui allaient ensuite vider au large leur chargement d’immondices ne le choquait plus. Il fallait quelque chose d’inhabituel pour qu’il le remarque – comme le cadavre de bébé qu’il avait découvert dans une ruelle un peu plus tôt cet été. L’odeur l’avait attiré, car elle était à la fois douce et âcre. Quand il s’était approché, il avait étouffé un cri d’horreur. Et, tandis qu’il disait une prière pour le nouveau-né tout gonflé, il avait noté une chose curieuse : l’enfant qui gisait, jambes et bras en l’air, lui rappelait celui qu’il avait vu dans les vitrines et les marchés à l’époque de Noël, l’Enfant Jésus. René et sa famille en avaient un eux aussi, entouré de ses parents, qui n’étaient pas vraiment ses parents, ainsi que de bergers, d’animaux et d’hommes en turban. À chaque Noël, ils installaient les immuables figurines devant la cheminée. C’était la saison où l’on honorait le nouveau-né.
    De retour dans sa chambre, il chassa de son esprit l’image de l’enfant mort, puis il se lava à l’aide d’un linge trempé dans l’eau savonneuse. Il y avait un établissement de bains au coin de la rue, mais la seule fois où il s’y était rendu, les autres hommes l’avaient regardé avec des yeux ronds, comme s’il était une espèce de géant, de sorte qu’il préférait se livrer à ses ablutions dans sa chambre. Il lui fallait au moins trois ou quatre cuvettes d’eau pour se débarrasser de la poussière de charbon incrustée dans ses cheveux et les pores de sa peau, encore qu’il fût devenu expert dans l’art d’économiser l’eau.
    Le temps qu’il boutonne sa chemise blanche propre, il transpirait déjà. Malgré la terrible expérience qu’il avait vécue la semaine précédente, il se préparait à descendre de nouveau au Vieux-Port, mais cette fois, il dînerait à la brasserie bon marché sur le quai du Port, à côté du Café Royal. C’était un vaste restaurant fréquenté surtout par les marins et la faune habituelle des ports, des hommes en costumes froissés ou des femmes en robes défraîchies, mais tous assez riches pour s’offrir le restaurant. Un soir, après avoir bu son anisette au Royal, il avait étudié le menu et identifié les lettres pour « agneau » et « porc ».
    Charging Elk regrettait souvent de ne pas savoir lire. Il lui arrivait d’acheter des illustrés afin de regarder les images, mais quand il s’efforçait de comprendre ce que les légendes disaient, malgré tout ce que Chloé et Mathias lui avaient enseigné avec patience, il se perdait dans les minuscules caractères écrits à l’encre noire. Un jour, voyant une image de tatanka, il reconnut le mot « bison »

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