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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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ne travaillait pas. Il se leva et alla prendre son pantalon qu’il avait jeté sur un petit banc placé devant l’une des fenêtres. Il tira d’une de ses poches une poignée de monnaie et de billets qu’il défroissa et compta ainsi que les pièces qu’il empila soigneusement : vingt-huit francs et trente centimes. Croyant avoir fait une erreur, il recompta mais arriva à la même somme. Le caissier derrière son guichet se serait-il trompé ? Ou alors, aurait-il été augmenté ? De plus de quatre francs, ce qui représentait la moitié de son loyer de la semaine ?
    Revenu de sa surprise, il comprit soudain que cela procédait du plan que Wakan Tanka avait élaboré à son intention. Il voulait que son enfant rentre chez lui plus tôt que prévu.
    Charging Elk se sentit alors empli d’une énergie et d’une excitation qui le firent frissonner en dépit de la chaleur. Il n’avait pas revu Costume Marron depuis plus d’un hiver, ou peut-être même deux, ni Poitrine Jaune qui ne s’était plus jamais manifesté après lui avoir rendu visite dans sa cellule de pierre, et c’était maintenant Wakan Tanka en personne qui veillait à ce que son enfant rejoigne bientôt les siens. Glissant l’argent dans un portefeuille qu’il rangeait au fond de son sac marin, Charging Elk adressa à Wakan Tanka une prière de remerciements. Après une seconde de réflexion, il reprit le portefeuille et en tira un billet de cinq francs. Ce soir, il allait fêter sa bonne fortune.
    Le Petit Zinc était un modeste restaurant situé quai de Rive Neuve, non loin du quai des Belges où Charging Elk, à peine huit mois auparavant, aidait encore René à porter les caisses de poissons. Monsieur Valentin, le propriétaire du restaurant, était un proche parent de Madeleine, peut-être même son frère croyait-il se rappeler. Charging Elk y avait quelquefois mangé avec la famille Soulas, et il ne connaissait pas d’autre restaurant à Marseille en dehors du bouiboui nord-africain du Panier.
    Il était installé à une petite table en terrasse, près d’une basse clôture décorée de pots de géraniums qui séparait les clients des passants. En face partait l’avenue qui menait aux bateaux ancrés dans les eaux saumâtres du Vieux-Port. Pendant la journée, les filets étaient étalés sur le quai, que des hommes, et parfois des femmes, assis sur des pierres, raccommodaient. Le soir, c’était un lieu où l’on venait se promener en famille, entre amis ou en amoureux.
    Le jeune Indien fumait une cigarette en attendant son dessert. Il se sentait très bien et ne souffrait nullement de la solitude. Il se laissait même aller à imaginer son retour. Ce n’était certes pas pour demain – il n’avait réussi à économiser que quatre-vingt-cinq francs, et il faudrait encore du temps pour arriver jusqu’à mille –, mais avec son augmentation, l’échéance lui paraissait moins lointaine. Aussi, quelque peu béat, il regarda approcher une calèche ornée de dorures et munie de lanternes en cuivre. Tandis que les sabots du cheval résonnaient sur les pavés, il songeait que Mathias s’était peut-être trompé – la traversée coûtait peut-être moins que le garçon ne le pensait. Il nota dans son cante iste de demander à Mathias de l’aider à trouver un bateau de feu en partance pour l’Amérique. Ainsi, ils pourraient connaître le prix exact du voyage.
    Charging Elk, âgé à présent de vingt-sept hivers, n’était plus ce jeune homme qui avait traversé la grande eau en compagnie de Buffalo Bill, de Featherman et des autres. Récemment, il avait repensé à Black Elk et au soir où celui-ci était apparu au camp installé dans le bois de Boulogne. Les Oglalas l’avaient accueilli chaleureusement, et pourtant, il paraissait hanté, presque effrayé par tout ce qu’il avait vu. Ses yeux avaient l’air jeunes et craintifs, mais son corps, faible et voûté. Charging Elk était maintenant absent de chez lui depuis bien plus longtemps que Black Elk ne l’avait été. Alors, à quoi ressemblerait-il le jour de son retour à Pine Ridge ? Ses parents seraient-ils heureux de le revoir ? Ils s’imagineraient sûrement qu’il revenait d’entre les morts. Et si eux-mêmes étaient morts ? Non, pas en l’espace de quatre années. Ils seraient simplement un peu plus âgés, eux aussi. Sa mère le serrerait dans ses bras en pleurant, puis elle préparerait un grand repas de bœuf rôti accompagné de ces pommes de

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