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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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avait cru étouffer de bonheur. Le soir, il avait jeûné et adressé de longues prières à Wakan Tanka afin de le remercier d’avoir mis fin aux malheurs de son enfant en détresse.
    Après sa première semaine de travail, une immense déception l’attendait quand il s’avança au guichet pour recevoir sa paye et apprendre qu’il n’avait gagné que vingt-quatre francs. À en croire René, monsieur Miroux possédait une immense fortune, et Charging Elk s’était imaginé qu’il lui donnerait au moins autant que Buffalo Bill. Il ne connaissait pas encore très bien la valeur de l’argent, mais il savait que les billets verts américains valaient davantage que les francs. Les trente billets verts qu’il gagnait chaque lune avec la troupe représentaient plus que l’équivalent en francs de quatre semaines de travail.
    Un soir, Mathias avait calculé combien de temps il lui faudrait travailler pour acheter un billet sur un bateau de feu. Après avoir aligné des chiffres sur une feuille de papier, il avait annoncé : « Trois ans en tout. À condition que tu ne dépenses pas un sou, ce qui est complètement impossible. »
    Charging Elk arriva à son immeuble du Panier, situé rue des Cordelles, une rue étroite qui bruissait des conversations tenues dans tout un mélange de langues, principalement d’origine nord-africaine ou levantine. Les enfants qui jouaient dehors jusque tard dans la nuit l’empêchaient parfois de dormir, mais la plupart du temps, il puisait un certain réconfort au son de leurs rires, de leurs cris et des aboiements des chiens, comme si ce concert de voix lui prouvait qu’il n’était pas seul. S’avançant le long du trottoir, il regarda un petit groupe de filles en jupes longues et écharpes de laine (malgré la chaleur) qui pratiquaient une sorte de jeu avec une petite balle de caoutchouc et une pile de cailloux. Le Panier était de loin le quartier le plus animé de Marseille. René prétendait que les Nord-Africains aimaient davantage la vie que la majorité des gens parce qu’ils pensaient moins. Charging Elk avait remarqué que les hommes discutaient beaucoup en faisant de grands gestes, tandis que les femmes ne cessaient de crier et d’attraper leurs enfants, ce dont nul ne paraissait s’offusquer. Il ne savait pas si c’était le signe qu’ils aimaient la vie ou qu’ils pensaient moins, en tout cas, ils donnaient l’impression de tous s’entendre à merveille. D’une certaine manière, ce quartier lui rappelait le village au Bastion. La cuisine elle-même, bien que la nourriture fût différente, comportait des ressemblances. Il allait quelquefois dans un petit restaurant sombre au coin de la rue où l’on entrait par un rideau de perles tenant lieu de porte. La première fois, il avait commandé un plat nommé « couscous » que, à l’inverse des autres clients, il n’avait pas osé manger avec les doigts. Les dîneurs, avec leurs rires, leurs plaisanteries, leur façon de manger et même leurs chiens qui attendaient patiemment, couchés aux pieds de leurs maîtres, dans l’espoir de récolter un croûton de pain ou un peu de peau de poulet, lui évoquaient les festins au village. En dépit des mises en garde de René, il ne regrettait pas d’avoir choisi d’habiter le Panier dont la population lui rappelait davantage son peuple que tous les gens qu’il avait eu l’occasion de fréquenter depuis son départ de Pine Ridge.
    Quand Charging Elk se réveilla, le crépuscule tombait déjà. Baigné de sueur, il demeura un instant allongé sur son lit. Les deux fenêtres étaient ouvertes, mais la petite brise qui, en général, se mettait à souffler peu après le coucher du soleil ne s’était pas encore levée. Comme d’habitude, sa première pensée fut pour la nourriture. N’ayant pas de glacière, il devait décider chaque soir s’il allait descendre à la charcuterie ou à l’épicerie acheter un bâton de viande – ou, parfois, du poulet rôti – ainsi que du pâté et du pain frais. Sinon, il lui fallait se contenter de fromage dur et suintant, d’une grenade ou d’une orange. Il avait l’impression de ne jamais avoir assez de provisions chez lui, aussi finissait-il presque toujours par sortir faire des courses.
    Pendant qu’il réfléchissait, il se souvint brusquement qu’on était samedi. Il était tellement abruti par la chaleur et une semaine de travail qu’il en avait oublié qu’il venait de toucher sa paye et que demain, il

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