À La Grâce De Marseille
était dépourvue de fenêtres, et la seule lumière provenait d’une petite lampe posée sur la commode, munie d’un abat-jour en perles. Elle diffusait cependant une chaude lumière aux nuances roses dans laquelle baignait le couvre-lit rouge. À l’exception de cette lampe et du dessus-de-lit, la chambre lui rappelait sa cellule de pierre dans la maison de fer, sinon que celle-ci, au moins, comportait une fenêtre, même si elle ne permettait que de distinguer les jambes des passants.
Il avait déjà donné six francs à la fille, presque l’équivalent d’une semaine de loyer, qu’elle avait aussitôt remis à quelqu’un qui attendait devant la porte. La transaction avait rendu le jeune Indien circonspect, mais il avait été rassuré en entendant ensuite le bruit des pas décroître dans le couloir faiblement éclairé.
La fille se débarrassa de sa robe bleue qu’elle suspendit à une patère derrière la porte. Elle dit quelque chose au sujet des vêtements de Charging Elk, désignant un portemanteau au pied du lit. Une cape blanche était déjà accrochée à l’une des branches incurvées. Hormis une petite statue de la sainte femme et une croix nue sur le mur au-dessus du lit, c’était le seul élément personnel. Charging Elk se demanda si elle habitait vraiment cette chambre.
Il commençait à comprendre comment tout cela fonctionnait, ce qui l’emplit d’un mélange de peur, d’excitation et de désir. Il n’avait plus été avec une femme depuis la folle du Bastion plus de quatre ans auparavant, sans compter que c’était la seule qu’il eût connue. Il éprouva un sentiment de honte à la pensée que les deux femmes avec lesquelles il aurait couché avaient exigé un paiement en échange de leurs faveurs. Néanmoins, le désir l’emporta et il se hâta d’enlever ses vêtements qu’il suspendit au portemanteau.
Lorsqu’il se retourna, la fille le regarda ou, plutôt, regarda son sexe. Appuyée contre le lavabo, elle ne laissa rien paraître de ses sentiments. « Viens ici », dit-elle, enfilant un gant de toilette qu’elle plongea dans l’eau de la cuvette.
En deux enjambées, Charging Elk fut près d’elle, mais durant la fraction de seconde que cela prit, une centaine d’émotions différentes l’assaillirent, parmi lesquelles l’angoisse et l’émerveillement. Pendant qu’elle savonnait le gant, il avait presque le visage enfoui dans sa chevelure. Il huma de nouveau un parfum de lavande qui l’amena au bord de l’évanouissement. Il se pencha davantage pour respirer l’odeur de ses cheveux, comme s’il voulait s’en imprégner à jamais, puis il sentit le contact froid du gant sur son sexe. Il eut d’abord la même impression que lorsqu’il se jetait nu dans une rivière des Paha Sapa. Le souffle coupé, il voulut se reculer, mais la caresse de la main à l’intérieur du gant, le glissement du savon, les effluves de lavande lui firent tant d’effet qu’il dut se concentrer sur la statue de la femme sainte pour ne pas connaître un accident embarrassant. Afin d’occuper son esprit, il pensa ensuite au cheval qu’il avait dessiné pour Chloé, puis à son propre cheval, Grand Coureur, et aux serpents venimeux des Mauvaises Terres. Il n’osait pas baisser les yeux de crainte de ne plus pouvoir se contrôler au spectacle de ce qu’on lui faisait.
Finalement, la fille, après l’avoir séché à l’aide d’une mince serviette, lui demanda de se coucher sur le lit. Il commença par s’asseoir au bord, et fut aussitôt pris de nausées, comme s’il avait bu trop de mni wakan. La fille le poussa doucement jusqu’à ce que, à moitié malade, la tête lui tournant, il se retrouve allongé sur le dur matelas, la tête coincée contre le mur et les pieds dépassant de plusieurs centimètres. La fille se mit sur lui à califourchon et lui, malgré son état, il regretta qu’elle n’eût pas ôté son caraco. Il aurait voulu voir ses seins, les caresser peut-être. Mais dès qu’il sentit la petite main saisir son sexe pour le guider en elle, il oublia tout. Les cuisses lisses de la fille effleuraient ses hanches, et il se les imagina, blanches comme la crème que faisait Madeleine pour ses gâteaux. Il était à peine revenu de son étonnement d’avoir évoqué pareille image que ses pensées se mettaient à tourbillonner comme les créatures vertes qui chantent après une bonne pluie. Quatre années durant, il avait agi pratiquement sans
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