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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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jeta un coup d’œil à la dérobée dans la glace et vit une ombre de sourire naître sur ses lèvres. Il aimait la voir sourire, ce qu’elle ne faisait malheureusement pas souvent, et c’était toujours un sourire aussi fugace que celui-ci, presque indéchiffrable.
    Elle dit alors : « Il faudra que tu nous l’amènes à dîner. Dimanche prochain, peut-être. Mais d’abord, tu dois obtenir la permission de ses parents. »
    Dans les jours qui suivirent, Charging Elk repensa plusieurs fois à l’invitation de Madeleine. Il se demandait si les prostituées étaient autorisées à quitter la maison de passe et à sortir avec des hommes, et si elles aussi devaient demander la permission à leurs parents. Madeleine avait sans le savoir semé un germe dans son esprit, un germe qui grandit jusqu’à ce que le jeune Indien se mette à promener son regard autour de son petit appartement, imaginant la fille assise sur le banc près de la fenêtre, debout devant le lavabo en train de se laver la figure ou allongée sur le lit dans sa chemise blanche – ou même nue ! Il se la représentait occupée à cuire une belle pièce de viande sur le fourneau à l’instar de sa mère à Pine Ridge pendant que, installé à la petite table, il épluchait les pommes de terre ainsi qu’il lui arrivait fréquemment de le faire pour Madeleine.
    Un soir, il fit un rêve. En se couchant, il espérait toujours rêver de la fille, parce que dans les rêves, les désirs se réalisent souvent. Mais celui-là tenait plutôt du cauchemar, et il ne concernait pas la fille à la robe bleue. Debout au bord de l’une des falaises à pic du Bastion, il est en larmes. Il veut sauter dans le vide, mais à chaque fois, une violente rafale de vent le repousse. Il fait quatre, cinq, dix tentatives, mais en vain. Il est épuisé, et lorsqu’il s’approche de nouveau du bord, trop faible pour seulement essayer de sauter, il baisse les yeux et voit tous les siens qui gisent au pied de la falaise. Ils gisent dans toutes les positions et toutes les directions, hommes, femmes, enfants et même vieillards. Ils gisent comme les troupeaux de bisons que les chasseurs ont poussé à basculer par-dessus le bord de la falaise. Charging Elk comprend alors pourquoi il pleure. Tandis qu’il contemple son peuple tout en bas, il entend le vent gronder à ses oreilles comme un millier de bisons au galop martelant le sol, et au milieu de ce grondement, une voix s’élève, une voix familière, une voix de Lakota qui dit : « Tu es mon seul fils. » Et lorsqu’il retourne dans son village du Bastion, il n’y trouve plus rien, ni êtres humains, ni chevaux, ni tipis, ni même les cercles de pierres qui maintenaient les peaux des tentes, ni même les cendres d’un feu. Tout a disparu.
    Lorsqu’il s’éveilla de son rêve, Charging Elk était couché sur le dos, scrutant les ténèbres. Il lui semblait qu’il n’avait pas dormi et que son rêve n’en avait pas été un. Pourtant, il avait l’impression d’avoir réellement vécu la scène. Il se revoyait alors qu’il voulait sauter et que seul le vent l’en empêchait. Il revoyait les siens tout en bas. Il entendait le rugissement du vent et le murmure de la voix à son oreille. À qui appartenait-elle ? Et pourquoi l’avait-on choisi, lui ?
    Il passa le reste de la nuit assis sur le banc, enveloppé dans son édredon, à fumer cigarette après cigarette en contemplant le ciel noir derrière la fenêtre. Il n’y avait pas de lune, pas de constellations pour lui rappeler son pays, mais il n’en avait pas besoin. Son cœur n’était pas ici, pas plus qu’il n’était là-bas, au Bastion. Il se trouvait dans un endroit auquel il ne pouvait pas encore attribuer de nom, de même qu’il ne pouvait pas encore attribuer de nom à la voix familière.
    Le rêve l’obnubila des jours durant. Il ne s’agissait pas de le comprendre, mais de ne pas y croire. Au Bastion, Bird Tail, le vieux wicasa wakan, interprétait les songes à l’intention de Charging Elk et des autres. Avec Strikes Plenty, ils en parlaient souvent pour s’apercevoir que les rêves apportaient leur part de vérité. Le jeune Indien savait ce que Bird Tail aurait dit de son cauchemar, mais il ne voulait pas y croire. Il le repoussa dans un coin de son esprit. Il en avait assez de se tourmenter. Cela durait depuis plus de quatre ans, depuis qu’il avait quitté la sécurité du Bastion.
    De temps en temps, cependant, au moment où

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