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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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quelques marches qui permettaient d’accéder au box des accusés pour demander à Charging Elk s’il avait quelque chose à dire pour sa défense. Il aurait le droit de parler, mais pas trop longtemps. La face émaciée de l’homme luisait, couverte d’une pellicule de sueur, et dans ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites brillait comme une lueur de frustration. On distinguait les os de son crâne sous sa peau, spectacle qui déconcerta l’Indien. Il avait l’impression de contempler le visage de sa propre mort. D’une voix curieusement calme, il répondit : « Oui, j’aimerais dire quelques mots aux grands hommes. » Il indiqua d’un mouvement de tête le devant de la salle.
    Cela se passait la veille, et on ne lui avait toujours pas proposé de prendre la parole. Il se pencha et regarda par l’une des deux petites fenêtres percées dans les flancs du panier à salade. Au début, il guettait avec impatience le moment de cette promenade à travers les rues de Marseille. Il avait le temps d’apercevoir des lieux familiers, des hommes et des femmes sur les trottoirs, des vitrines où étaient exposés des costumes pour hommes, des robes, des ustensiles de cuisine et des équipements pour bateaux, et aussi des chiens, des fiacres, des omnibus, des chevaux de toutes sortes, depuis ceux harnachés aux élégants équipages jusqu’aux chevaux de trait qui tiraient leur lourde charge, l’encolure baissée et les yeux fermés. Maintenant, la plupart du temps, il somnolait dans l’espace confiné du véhicule cahotant.
    Il lui sembla soudain distinguer vaguement des voix et, arraché à son assoupissement, il jeta un coup d’œil au-dehors. Il vit des gens qui marchaient dans la rue. Certains étaient bien habillés, mais la majorité semblait composée d’ouvriers et même d’immigrés en tricots de corps et bretelles, tandis que les femmes portaient des robes élimées et des tabliers constellés de taches. Quelques-unes avaient des ombrelles pour se protéger du soleil, mais la plupart étaient coiffées de chapeaux ou de bonnets. Il y en avait même qui allaient tête nue. Tous paraissaient crier la même chose, une espèce de mélopée furieuse dont Charging Elk ne parvenait pas à saisir les paroles. Il réprima un mouvement de surprise. Il avait déjà assisté plusieurs fois à des manifestations, et il pensa que le fourgon de police était pris au milieu d’une foule protestant contre l’augmentation des impôts, les bas salaires ou quelque nouvelle entrave à la liberté. Soudain, apercevant une pancarte brandie au-dessus des têtes, il demeura bouche bée. Il s’agenouilla sur le banc pour mieux voir, et non, il ne se trompait pas : c’était bien son nom comme Mathias lui avait montré qu’il s’écrivait, figurant après un autre mot qu’il ne connaissait pas : LIBÉREZ CHARGING ELK ! Il se précipita vers l’autre fenêtre, se cognant au passage la tête au plafond, mais il ne le remarqua même pas. Il y avait encore plus de monde de ce côté-ci de la rue, car il se trouvait à l’ombre. D’autres pancartes apparaissaient, certaines portant son nom, d’autres des mots qu’il était incapable de déchiffrer.
    Un jeune homme en chemise sans col et casquette jaune se détacha de la foule et se mit à courir le long du fourgon. Il montra du doigt le visage de Charging Elk qui s’encadrait dans la petite fenêtre et cria quelque chose. Soudain, de nombreux doigts se tendirent, et son nom jaillit de toutes les gorges : Charging Elk ! Charging Elk ! Les pancartes s’agitaient, et le prisonnier se sentit saisi de vertige à la vue de cet incroyable spectacle. Les chevaux prirent soudain le galop et Charging Elk, déséquilibré, fut précipité vers le fond. Le temps de revenir à la fenêtre et il n’y avait presque plus personne dans la rue. Les pancartes aussi avaient disparu. Lorsque la voiture arriva devant l’entrée de la préfecture, il n’entendait plus qu’un léger bourdonnement sous son crâne, et il se rendit compte qu’il était sur le point de s’évanouir à cause de la chaleur. Les mots de «  Libérez Charging Elk ! Libérez Charging Elk ! » scandés par la foule restaient gravés dans son esprit, et il essaya de comprendre ce que tout cela signifiait.
    Martin Saint-Cyr avait assisté à la manifestation avec une intense satisfaction. Bien qu’il n’y eût que peu de gendarmes et à priori aucun risque de débordements, la foule qui

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