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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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exprimait sa colère contre l’injustice lui rappelait ses années d’étudiant à Grenoble. À la pensée des défilés quotidiens qui menaient étudiants et ouvriers de l’université à la place Saint-André et au Palais de Justice, il éprouvait une nostalgie qui lui faisait oublier la peur et la panique qui le gagnaient lorsque les gendarmes, bâton au poing, chargeaient les manifestants. Il se souvenait combien il aspirait alors à se réfugier dans l’enceinte du Palais de Justice pendant que les autres, la tête ensanglantée, s’efforçaient de se protéger de leur mieux contre les coups, tandis que certains gisaient déjà sur le pavé. Il se disait que cette manifestation (ou plutôt, espérait-il, cette série de manifestations) n’en arriverait pas là, mais on ne pouvait jamais être sûr. Les manifestations de Grenoble avaient été pacifiques avant de dégénérer en émeutes.
    Les éditoriaux de Saint-Cyr avaient fait sensation. Partout, on ne parlait que du procès, et pratiquement tout le monde estimait qu’on jugeait le Peau-Rouge pour un crime dont il n’était pas responsable, car le véritable crime, c’était plutôt l’acte infâme commis par le pervers. Quant à la fille, cette Marie machin, elle aurait dû être en prison pour le rôle qu’elle avait joué dans cette affaire. Dommage que le sauvage ne lui ait pas réglé son compte à elle aussi.
    Saint-Cyr, quoique ravi par les réactions de ses concitoyens, trouvait qu’il ne se passait néanmoins pas grand-chose. Les gens en discutaient sur les marchés, dans les cafés et les restaurants, mais on avait l’impression que le scandale ne les touchait pas vraiment. Il surprenait de temps en temps un homme ou une femme qui déclaraient avec un haussement d’épaules entendu : « Mais c’est des histoires de là-bas », à savoir les quais avec tous ces étrangers, ces voyous, ces bordels et ces bars américains, comme s’il s’agissait d’un autre Marseille que celui où ils vivaient.
    Trois jours avant la première manifestation, Saint-Cyr décida de s’impliquer davantage en tant que journaliste. Le moment était mûr pour organiser quelque chose qui secouerait un peu la municipalité et ses édiles. Deux ou trois mois auparavant, il avait interviewé trois étudiants de la Faculté des Sciences et des Techniques ayant orchestré des manifestations contre le Centre Universitaire afin de s’élever contre le renvoi d’un professeur pour ses opinions socialistes. Ni les protestations des étudiants ni son éditorial n’avaient fait revenir les autorités universitaires sur leur décision, mais il avait été fort impressionné par la ferveur des trois jeunes anarchistes. Il chercha donc à les retrouver. Ils avaient été exclus de l’université jusqu’à la fin de l’année, mais toujours aussi militants, ils continuaient à fréquenter le café Belfleur, rue de Crimée, où il les avait rencontrés la première fois. Ils se montrèrent plus qu’intéressés à défendre la cause du sauvage nommé Charging Elk. Ils avaient également organisé de petites manifestations pour protester contre l’exploitation des Algériens, et la persécution dont était victime « l’Américain en voie de disparition » (ainsi que Saint-Cyr qualifiait la situation du peuple indien d’Amérique) les révolta. Ils dressèrent aussitôt des plans, prévoyant de contacter les dirigeants syndicaux, les socialistes, les catholiques aux idées avancées, leurs camarades d’université et même les responsables des communautés d’immigrés qui pourraient profiter des manifestations pour exprimer leur indignation contre le traitement réservé en France aux étrangers. Et quand Saint-Cyr héla un fiacre pour retourner dans le centre, il était rempli d’espoir et se sentait très satisfait de la manière dont il s’était débrouillé pour tirer les ficelles.
    Les manifestations commencèrent, de plus en plus importantes au fil des jours, jusqu’à réunir de sept à huit cents personnes qui occupaient entièrement la place Montyon à côté du Palais de Justice. Les leaders prononçaient tour à tour des discours qui n’avaient pas tous pour objet de condamner l’injustice faite à Charging Elk, mais qui tous étaient dirigés contre la même cible : les gouvernements. La plupart stigmatisaient les politiciens corrompus qui préféraient détourner la tête ou qui favorisaient l’exploitation des ouvriers et des immigrés

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