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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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pantalon (il perdait chaque été quelques kilos), puis il s’approchait et demandait : « Ça va ? Pas trop chaud ? » Après que Charging Elk lui avait assuré que tout allait bien, Boucq décochait un petit coup de pied dans une motte de terre ou bien contemplait au loin la vallée, puis il reprenait : « Tu ferais quand même bien de boire un peu d’eau », ou alors : « Ces tomates là-bas, il faudrait les pincer quand tu auras fini – mais repose-toi d’abord un peu. Je ne tiens pas à avoir ta mort sur la conscience. » Après quoi, marmonnant quelques mots qui pouvaient passer pour un vague compliment, il retournait à ses occupations. C’étaient les seuls moments où les deux hommes établissaient des relations quelque peu personnelles.
    Au cours de ses années de prison, Charging Elk ne reçut pas la moindre lettre, ni à fortiori la moindre visite. La Tombe était loin de Marseille et René, bien qu’il eût fait preuve de loyauté et qu’il l’eût soutenu durant le procès, devait vendre tous les jours son poisson pour nourrir sa famille. Sinon, il n’y avait personne qui aurait pu s’intéresser encore à lui.
    Il continua à entretenir des liens d’amitié avec Causeret. Ils étaient maintenant dans des bâtiments différents, mais ils se voyaient dans la cour et au réfectoire. Quand le jongleur assurait le service, il glissait toujours une pomme de terre ou une saucisse en plus dans la gamelle de Charging Elk. Malheureusement, au fil des ans, le jongleur commença à rire et à sourire de moins en moins souvent. Dans la cour, pendant les mois d’hiver où l’Indien ne travaillait pas, Causeret ne parlait plus d’escalader les murailles et de s’enfuir en Amérique pour chercher de l’or. Il se bornait à évoquer sa vie passée qu’il avait gâchée à errer ainsi de ville en ville, de foire en marché, afin de pratiquer son art devant un public qui le considérait, à juste titre, comme une simple attraction. Et lorsque Charging Elk lui rappelait qu’il rendait les gens heureux, le jongleur éclatait bien de rire, mais ce n’était plus le même rire qu’avant, celui qui mettait l’Indien en joie. Ce n’était plus qu’un rire amer que le vent glacial emportait. Un jour, Causeret, serrant sa mince veste autour de lui, ne voulut plus marcher, et Charging Elk arpenta seul la cour cependant que le petit jongleur autrefois vigoureux et souple attendait simplement le moment de regagner sa cellule, frêle silhouette tremblante adossée au mur.
    Et puis, un matin, Causeret n’apparut pas dans la cour. Bien qu’inquiet, Charging Elk fit sa promenade habituelle. Le lendemain, comme son ami ne se montrait toujours pas, il interrogea l’Anglais qui occupait la cellule située en face de celle du jongleur. L’homme lui répondit que Causeret devait être malade. Depuis deux jours, en effet, il n’allait plus travailler, se contentant de rester allongé sur son grabat et de contempler le plafond. Lors de la promenade du lendemain, l’Anglais lui apprit que deux infirmiers du dispensaire avaient emmené le jongleur au milieu de la nuit. Deux jours plus tard, il annonça à Charging Elk qu’un gardien était venu prendre la paillasse et les quelques effets personnels de Causeret. L’Indien le dévisagea un instant sans rien dire, puis il se mit à arpenter la cour comme de coutume.
    Cet hiver-là, il plut presque tout le temps, et il arrivait que Charging Elk se retrouve pratiquement seul dans la cour. Il se faisait une règle de ne pas manquer sa promenade quotidienne, parce qu’il savait que sinon, il penserait à la mort de son ami et au fait qu’un jour lui aussi mourrait à la Tombe, peut-être subitement à l’instar de Causeret. Parfois, quand il se sentait gagné par un profond désespoir, il avait la chance que la neige se mette à tomber. Il levait alors la tête, offrant son visage à la caresse des flocons, et il avait l’impression d’être ramené par magie – comme si Wakan Tanka avait envoyé la neige pour qu’il se souvienne de lui – au Bastion et aux hivers qu’il y avait passés en compagnie de Strikes Plenty. Les images qui lui revenaient en foule – Grand Coureur hennissant au petit matin devant le tipi en guise de bonjour, Strikes Plenty feignant de dormir pour que ce soit Charging Elk qui allume le feu, les journées entières à chasser pour ne tuer qu’un lapin aux longues pattes –, l’emportaient loin de la Tombe et, l’espace de

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