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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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quelques jours, l’aidaient à oublier. Malheureusement, les idées noires ne tardaient pas à revenir et, étendu sur sa paillasse, enveloppé dans sa couverture, il repensait à la mort. Et depuis qu’il était dans ce pays, la mort, il l’avait souvent désirée. Enfermé ici, il aurait dû la désirer d’autant plus, et pourtant, ce n’était pas le cas. Même pas quand il pleuvait pendant des jours et des jours.
    Juste avant le début du printemps de sa dixième année à la Tombe, le 12 mars 1904, un gardien entra dans la cellule de Charging Elk et lui ordonna de le suivre. L’Indien guettait ce moment depuis des semaines, et son cœur se mit à battre plus vite. Il enfila sa veste et son bonnet, puis emboîta le pas au gardien. Ils traversèrent la cour en direction du portail. C’était une journée venteuse, froide et humide, mais il était impatient de retrouver les jardins en terrasses et la besogne pénible afin de ne plus penser au sinistre hiver de plus qu’il venait de vivre.
    Le gardien, au lieu de le conduire au portail, se dirigea vers le bâtiment administratif. Charging Elk se demanda avec inquiétude ce qu’il avait pu faire de mal. Trois jours plus tôt, il s’était rendu pour la première fois à la bibliothèque, mais il avait seulement pris un livre sur les chevaux pour le feuilleter en regardant les illustrations. Le responsable l’aurait-il dénoncé pour quelque manquement au règlement qu’il aurait commis sans s’en apercevoir ? Il réfléchit, mais ne trouva rien. À la pensée qu’il risquait de ne plus pouvoir travailler dans les potagers, il sentit la panique le gagner.
    Une femme, plus âgée et plus forte que celle qu’il avait vue la première fois, l’introduisit dans le bureau du directeur. Elle lui sourit mais, trop effrayé, il ne le remarqua même pas.
    « Ah, voici notre homme. » Le directeur se leva et contourna son bureau. Charging Elk, contemplant le visage au teint rubicond et le nez aquilin, se rappela qu’il lui avait fait penser à un curieux oiseau, mais les années avaient passé et maintenant, avec ses jambes courtaudes et sa grosse tête au crâne luisant, il évoquait davantage l’une de ces créatures aveugles qui creusent leur terrier sous la terre. « Bonjour, Charging Elk.
    — Bonjour, monsieur. » L’Indien lui serra la main, jetant un coup d’œil sur les deux autres personnes présentes dans la pièce et qui s’étaient également levées.
    Le directeur garda la main de Charging Elk dans la sienne cependant qu’il reprenait : « Permettez-moi de vous présenter monsieur Murat du ministère de la Justice et madame Loiseau de l’Aide sociale catholique de Marseille. Tous deux ont fait un long chemin pour venir vous voir. » Il émit un petit rire dans lequel Charging Elk crut détecter un accent de déférence. « Vous devez être un homme important. »
    L’Indien, échangeant une poignée de main avec les deux visiteurs, ne put s’empêcher de noter une différence dans leur attitude à son égard. L’homme afficha une raideur teintée d’indifférence, tandis que la femme lui sourit gentiment et pressa un instant sa main entre les deux siennes. Elle portait des gants gris perle, doux et lisses comme du velours. Charging Elk n’avait pas touché d’aussi beau tissu depuis des lustres.
    « Je vais être bref, monsieur Charging Elk, déclara le représentant du ministère, prenant une serviette de cuir d’où il tira un document. En raison de votre nouveau statut, vous bénéficiez d’une grâce accordée par la République française. » Il tendit le papier à l’Indien.
    L’homme avait prononcé son nom à la manière des Américains, comme Costume Marron, aussi Charging Elk pensa que ce monsieur Murat devait être américain, encore qu’il parlât français comme un Français.
    Il étudia le document. Son nom figurait au milieu, écrit à l’encre noire en grosses lettres. Dans le coin supérieur droit, il y avait la date, et dans le coin inférieur gauche, un sceau doré orné de deux petits rubans rouges. Le reste, impeccablement calligraphié, il était incapable de le déchiffrer. « Merci beaucoup, monsieur », dit-il. Puis il se tourna vers la femme, ne sachant pas trop quoi faire. Elle lui souriait, une lueur amicale dans le regard. « Merci, madame », finit-il par dire, un peu perdu.
    Après un instant de silence, madame Loiseau s’écria : « Mais oui, bien sûr ! » Elle éclata de rire

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