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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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de cordes qui se balançaient. Ils pleuraient, vomissaient et chantaient leurs chants de mort. Chaque fois qu’il y repensait, Charging Elk se disait qu’il n’avait jamais rien vu ni entendu de pareil. Pas même à la bataille de l’Herbe Grasse ou lors de la capitulation de Fort Robinson.
    La grande eau finit cependant par s’apaiser, et les Indiens, épuisés, les jambes flageolantes, montèrent sur le pont où le ciel et l’eau s’étendaient devant eux à l’infini. Croyant qu’ils ne reverraient jamais leur mère la terre, ils en conçurent une immense frayeur, mais au moins, ils étaient vivants. Cinq sommeils plus tard, le bateau longeait les côtes de France et se dirigeait vers le grand port au nord. Les Indiens adressèrent un chant de remerciement à Wakan Tanka et se préparèrent avec excitation à la nouvelle aventure qui les attendait. Ils avaient aimé se produire à New York et ils se réjouissaient à l’idée de le faire devant ce public inconnu. Lorsqu’ils débarquèrent sur le quai de pierre, la tête leur tourna et ils durent s’asseoir ou rester un moment immobiles avant que maka ina leur pardonne d’avoir quitté son sein…
    Charging Elk songea alors qu’il accepterait volontiers quelques sommeils de presque-mort si c’était pour regagner son pays de l’autre côté de la grande eau. Et pour cela, il fallait effectuer la traversée. Il n’y avait pas d’autre moyen. Ce ne serait sûrement pas facile, mais s’il trouvait un bateau de feu battant pavillon américain et un peu d’argent en plus pour s’acheter du pain et des bâtons de viande, il aurait des chances de réussir.
    La pluie avait cessé de tambouriner sur le parapluie qu’il tenait au-dessus de sa tête, aussi il le ferma et l’accrocha à son bras. Il avait les pieds mouillés dans ses chaussons et les orteils engourdis par le froid. Il était arrivé près du port où brillaient des lumières en haut de grands poteaux. Il n’y avait pas beaucoup de monde, hormis de petits groupes d’hommes qui parlaient fort, riaient et se tapaient dans le dos. Ils étaient ivres et joyeux. Charging Elk préféra cependant les éviter et, à leur approche, il alla à plusieurs reprises se dissimuler dans un sombre passage.
    Au début, le spectacle des centaines de bateaux ancrés dans le petit port le décontenança. La plupart étaient des voiliers. Il y en avait des grands et des petits dont les mâts formaient comme une forêt d’arbres grêles et dénudés. Même dans les Paha Sapa il n’existait rien de semblable. Les bateaux étaient attachés les uns aux autres, de sorte que certains des hommes que Charging Elk venait de croiser devaient sauter par-dessus deux ou trois d’entre eux avant de disparaître dans le ventre du leur.
    Devant tous ces voiliers, il sentit ses idées s’embrouiller cependant que, une fois de plus, le désespoir le gagnait. Il ne voyait pas un seul bateau de feu. Et naturellement, pas le moindre drapeau américain. Le point positif, c’était la facilité avec laquelle on pouvait monter à bord.
    Il s’avança le long du quai, en direction d’une haute tour à l’extrémité d’un promontoire. Sur sa gauche, il y avait une succession de restaurants avec des tables et des chaises rangées sous des auvents en toile. Deux seulement étaient encore ouverts. Le premier allait sans doute fermer, car les chaises étaient empilées sur les tables, tandis qu’un wasichu balayait par terre. Dans le second, par contre, des hommes, des femmes et même quelques enfants étaient réunis autour d’une grande table juste devant la vitrine. Un serveur en veste noire et chemise blanche découpait un gros morceau de bœuf pendant que des plats de pommes de terre et autres légumes circulaient parmi les convives. Charging Elk en eut l’eau à la bouche. Il les vit lever leur verre et le choquer contre celui des autres en signe de souhait. À Paris, les Indiens s’étaient rendus en compagnie de leurs patrons dans de grandes maisons où ils avaient appris à faire des vœux avec les verres. Et puis, Charging Elk avait soif de mni sha. Les Indiens n’étaient pas censés en boire – de même qu’ils n’étaient pas censés se lier avec les femmes françaises – mais ils parvenaient de temps en temps à en introduire quelques bouteilles en cachette. Au début, Broncho Billy, leur interprète, les leur fournissait en échange de quelques centimes de commission, mais par la suite, Charging Elk et

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