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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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ses amis avaient compris qu’il leur suffisait d’entrer chez un marchand de vin pour en acheter. Les commerçants ignoraient que Buffalo Bill n’aimait pas les Indiens qui buvaient. Il avait même renvoyé en Amérique deux Oglalas et un Brûlé parce qu’ils se soûlaient trop.
    Charging Elk sourit en se rappelant la première fois où il avait essayé de déboucher une bouteille en utilisant un morceau de fer tortillé. Seul le haut du bouchon était venu, et quand il avait voulu tirer le reste, il n’avait réussi qu’à l’enfoncer, si bien que chaque fois qu’il inclinait la bouteille pour boire, le morceau de bouchon se coinçait dans le goulot, ce qui déclenchait l’hilarité de ses amis, car ainsi, il n’arrivait pas à faire couler la moindre goutte de vin. Featherman avait résolu le problème en poussant le bouchon à l’aide du stylet qu’il avait acheté à Paris, puis en versant le vin dans un gobelet en fer-blanc.
    Dissimulé dans l’ombre, il regarda le serveur passer le plat de viande. Il s’imaginait en sentir l’odeur et le goût. Quand Strikes Plenty et lui tuaient un orignal ou un cerf dans les Paha Sapa, ils se gorgeaient de viande, mais la plupart du temps, ils devaient se contenter de lapins, de porcs-épics ou de grouses. Les grands animaux se faisaient de plus en plus rares au Bastion. L’hiver, il avait souvent aussi faim qu’au moment où il avait volé le pain et le fromage du policier de la route de fer. Strikes Plenty avait eu raison. Leur amitié n’aurait probablement pas survécu à un nouvel hiver de quasi-famine.
    La pluie avait cessé, mais le vent s’était levé qui, soufflant du nord-ouest, apportait au jeune Indien le claquement des voiles attachées aux mâts des bateaux. Des lumières blanches accrochées au sommet se balançaient et projetaient des ombres mouvantes sur l’eau. Le vent était frais, mais grâce aux nuages, il ne faisait pas aussi froid qu’au cours des nuits étoilées où le givre brillait sur les cartons dont Charging Elk s’enveloppait pour dormir.
    Il s’arracha au spectacle de tous ces gens attablés au restaurant, et reprit sa marche le long du quai, loin de l’avenue qu’il avait empruntée depuis le Rond-Point du Prado. Il s’en servirait plus tard comme repère, mais pour l’instant, il tenait à s’assurer qu’il n’y avait pas de bateaux de feu amarrés près de ceux en bois. Il pria Wakan Tanka de lui envoyer un signe, de lui montrer le drapeau de l’Amérique ou peut-être le nom du bateau de feu qui l’avait amené dans ce pays. Le Persian Monarch. Avant leur départ de New York, avant qu’ils n’embarquent à bord de ce bateau géant, Broncho Billy leur avait montré le nom marqué sur la coque. Il avait expliqué que la Perse se trouvait encore plus à l’est que le pays où ils se rendaient. Là-bas, les gens portaient des vêtements étincelants et le monarque – une espèce de roi que son peuple ne haïssait pas – entretenait pour son plaisir une armée de jolies femmes. Elles ne faisaient qu’attendre qu’il en appelle une ou deux auprès de lui. Les Indiens, habitués aux mensonges de Broncho Billy, ne l’avaient évidemment pas cru. Pourtant, on racontait que certains, les Blackfeets par exemple, pouvaient avoir jusqu’à quatre ou cinq femmes quand leurs moyens le leur permettaient. Les Lakotas, pour leur part, pouvaient rarement s’en offrir plus d’une. Alors peut-être qu’un roi qui, lui, régnait sur beaucoup de sujets pouvait en avoir autant qu’il le désirait. Featherman avait dit en plaisantant que, arrivé à destination, il resterait sur le bateau pour voir s’il le conduirait vers les femmes en question. Cela se passait avant la presque-mort due au mal de mer.
    Pendant qu’il longeait le quai, Charging Elk leva distraitement les yeux vers une rue qui partait du port. Il s’arrêta pour regarder avec plus d’attention. Deux croisements au-delà, il apercevait une lumière jaune éclairant de petites silhouettes qui, toutes, marchaient dans la même direction. La lumière paraissait douce et chaude vue de cette distance, plus chaude en tout cas que les lumières blanches du port. Le vent, à présent, transperçait le manteau du jeune Indien, et le froid lui piquait les pieds dans ses chaussons trempés. Il s’inquiétait de plus en plus de sa santé, car il savait que s’il devait retourner à la maison des malades, il perdrait sa dernière chance de trouver un moyen pour

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