À La Grâce De Marseille
des « Oui, oui. » Après quoi, il dit quelques mots dans sa propre langue, les soulignant par des gestes destinés à Black Elk. Il s’exprimait assez bien dans le langage des signes, et tous les Indiens avaient les yeux rivés sur lui. Il fit le signe pour ami et pour voyage, puis le signe pour grande eau et route de fer.
Ensuite, Rocky Bear s’adressa à Black Elk : « Pahuska te comprend. Lui aussi se languit de son pays. Ce soir, il était avec les grandes royautés et les grands patrons de cette grande nation. Il a bu leur vin et mangé leur nourriture, mais pendant tout ce temps, il pensait à son pays et à ses parents restés à North Platte. Pahuska aussi est un grand homme et il sait qu’il doit apprendre à ces Français ce que sont les ikce wicasa. Ils sont devenus trop modernes avec toutes leurs puissantes machines et leurs grandes maisons, leurs bateaux de feu et leurs routes de fer. Ce soir encore, ils se sont vantés de leurs progrès au cours des cent hivers qui se sont écoulés depuis qu’ils ont tué leur roi et pris le pouvoir. Ils ont construit leur grand arbre de fer afin de dominer tout ce qu’ils possèdent. Ils ont oublié d’où vient leur peuple et qu’ils étaient eux aussi des ikce wicasa dans l’ancien temps. Pahuska pense que Black Elk pourrait l’aider à leur enseigner la sagesse de la vie simple. »
Black Elk resta deux sommeils avec eux. Il raconta son histoire et celle de ses compagnons qui, ayant raté le bateau qui devait les ramener au pays, avaient erré dans la grande ville anglaise de Birmingham avant de prendre la route de fer jusqu’à Londres. L’un des Lakotas parlait anglais et il réussit à trouver un autre Wild West Show appelé Mexican Joe. C’était une petite troupe, mais on payait les Indiens en liquide et ils avaient assez à manger. Ils finirent par arriver à Paris, puis ils se rendirent dans plusieurs villes d’un autre pays avant de revenir à Paris. Black Elk tomba malade et ne fut plus en mesure d’assurer son numéro. Une famille française s’occupa de lui alors qu’il avait déjà presque perdu sa nagi. Son corps mourut, et il rêva de plusieurs choses que seuls les morts sont autorisés à voir. Il ne dit pas lesquelles – seulement qu’il était retourné chez lui, qu’il avait vu sa mère, son père et les pauvres ikce wisaca, si bien que désormais, il savait comment les aider à recouvrer leur dignité et leur honneur. Il ne précisa pas comment il le ferait, mais les jeunes Indiens se gardèrent bien de contester le pouvoir de sa vision de mort.
Le deuxième soir, après un grand festin, Buffalo Bill lui donna quelques billets verts américains, puis un policier l’escorta jusqu’à la route de fer qui le conduirait à un endroit d’où un bateau de feu lui ferait franchir la grande eau. Quand les membres de sa tribu le serrèrent dans leurs bras, il eut l’air un peu perdu mais heureux. Après être mort, il était content de rentrer chez lui.
Charging Elk se leva et s’étira. La pluie s’était transformée en un léger crachin. Il se demanda s’il ne devrait pas descendre vers le port et explorer les quais où attendaient les bateaux de feu. Bien entendu, il n’avait pas assez d’argent pour payer la traversée de la grande eau, mais il voulait aller voir si, par chance, il y en aurait un qui battrait pavillon de l’Amérique. Maintenant que son ventre était presque rempli, il avait l’esprit plus clair et commençait à envisager plusieurs possibilités. Le bateau à bord duquel ils avaient voyagé était immense, équipé de nombreuses petites pièces ainsi que de quelques-unes, beaucoup plus grandes, pour les animaux et le matériel. Les recoins ne manquaient pas où un homme pouvait se cacher à condition de se contenter d’un espace exigu. Il lui faudrait simplement se munir d’eau et de nourriture pour plusieurs sommeils. La nuit, il trouverait sans doute le moyen de se dégourdir les jambes et de satisfaire ses besoins naturels.
Son cœur se souleva au souvenir des trois premiers sommeils qui avaient suivi le départ de New York. Le bateau de feu tanguait et roulait, et, à peine quittée la grande ville, Charging Elk avait été malade. Plus ils s’éloignaient de la terre, plus la traversée devenait mouvementée. Les Indiens, entassés dans des cabines tout au fond du bateau, entendaient des grincements, des gémissements et des craquements alors qu’ils étaient allongés dans des lits
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