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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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dans l’Amérique, mieux cela vaudrait pour lui.
    Il regrettait néanmoins de ne pas avoir assisté à une représentation du Wild West Show. Au cours de son enfance, quelque vingt ans auparavant, il avait lu Buffalo Bill, Roi du Far West. Il avait grandi à Philadelphie et, à l’instar de tous les gamins de l’époque, il aurait voulu partir dans l’Ouest combattre les Indiens. Et en 1869, il y avait encore plein d’Indiens à combattre.
    Bell traversa le boulevard Peytral et leva les yeux sur son appartement. Une faible lumière brillait derrière la porte-fenêtre donnant sur le balcon en fer forgé. Il n’avait pas encore pris l’habitude de fermer chaque soir les volets à l’exemple des Français. Il détestait se réveiller le matin dans un appartement plongé dans le noir.
    Pendant qu’il cherchait ses clés, il repensa à Charging Elk, mais de manière abstraite. Il avait donc fini par rencontrer un Indien, mais pas dans le feu de la bataille. À la place, il n’avait rencontré qu’un pauvre hère en manteau élimé trop petit pour lui et en chaussons d’hôpital trempés, un homme seul dans un pays dont il ne parlait pas la langue et qui, pour ne rien arranger, ne parlait même pas celle de son propre pays. Il allait croupir en prison au moins quatre jours en attendant la fin des vacances de Noël, et peut-être même davantage compte tenu de la charge des tribunaux français. Voilà ce qui restait du romantisme de la jeunesse ! Cet Indien était l’image même du vaincu.
    Il glissa la clé dans la serrure et ouvrit la porte d’entrée. Si seulement Margaret était là qui l’attendait dans son lit… Qui sait, peut-être la semaine prochaine à Avignon. Adressant une prière muette en ce sens, il monta l’escalier qui conduisait à son vaste appartement meublé Empire et imprégné de l’odeur pénétrante de la délicieuse bouillabaisse que préparait sa propriétaire. Il dormirait aussi longtemps qu’il voudrait, et peut-être rêverait-il de Margaret et des appétissants présents qu’elle lui destinait. Après tout, c’était Noël.

4
    Martin Saint-Cyr détestait Marseille l’hiver. Une fois par semaine au moins, il s’interrogeait sur le concours de circonstances qui l’avait conduit dans cette ville, sans jamais parvenir à une explication satisfaisante. En fait, il avait tout bonnement suivi une fille. En 1886, ses études à l’université de Grenoble achevées, la fille en question avait obtenu un poste d’enseignante dans un lycée de Marseille. Elle avait choisi un établissement situé dans le quartier du Panier, un vieux quartier ouvrier où venaient maintenant s’installer les immigrants des États barbaresques et du Levant qui assuraient les tâches les plus pénibles dans les usines de savon et de chanvre, les abattoirs et les tanneries.
    Saint-Cyr, muni quant à lui d’un diplôme en économie, avait été accepté en faculté de droit à la Sorbonne, mais il n’avait pas compté qu’il tomberait amoureux d’Odile, quoique son instinct lui eût soufflé qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre. Profondément religieuse, elle se sentait obligée de consacrer une partie de sa vie à aider les défavorisés. Lui, au contraire, bien qu’élevé dans une famille catholique, n’était pas pratiquant. Au cours de sa troisième année d’université, il avait rejoint les rangs d’un groupe de socialistes qui, pour la plupart, étaient (comme lui) davantage attirés par l’idée de la classe ouvrière que par ceux qui la composaient. Saint-Cyr participait aux meetings et aux manifestations, distribuait des tracts et jouait un petit rôle dans les tentatives en vue d’organiser les travailleurs des abattoirs et les haquetiers grenoblois. Mais quand la police avait investi la place Saint-André où étudiants et ouvriers s’étaient rassemblés pour protester contre l’arrestation de trois meneurs, deux étudiants et un ouvrier des abattoirs, Saint-Cyr s’était réfugié dans le palais de Justice tout proche d’où il avait regardé les gendarmes armés de matraques charger les manifestants désarmés. Beaucoup de sang avait coulé par cette chaude après-midi d’automne, à la suite de quoi Saint-Cyr avait pris ses distances avec le mouvement avant de le quitter définitivement.
    En réalité, ses idées n’avaient jamais été socialistes. Il annonça à ses amis qu’il partait étudier le droit afin de servir les objectifs du socialisme

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