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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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démocratique – lequel aurait toujours besoin de bons avocats dévoués à sa cause –, mais il continuait à croire en de nombreuses valeurs bourgeoises. Son père, un soyeux de Lyon et bon capitaliste, assurait à sa famille une existence plus que confortable.
    Alors que faisait Saint-Cyr un mercredi matin, installé dans un minable bistrot de Marseille devant un café au lait et une brioche ? Il était incapable de répondre à cette question. Odile, devenue missionnaire, se trouvait à présent à Alger où elle vidait les bassins hygiéniques dans un hospice. Au bout d’un an, elle déciderait soit de poursuivre dans cette voie, soit d’épouser Saint-Cyr. Ces derniers temps, cependant, il s’interrogeait de plus en plus sur le mariage, hésitant à l’idée de s’engager pour une éternité sur terre. Sans parler du problème des rapports sexuels. Certes, ils avaient eu leurs moments romantiques – pique-niques le long de la Corniche, excursions en Camargue pour admirer les flamants et les taureaux noirs, orgueil des arènes provençales, week-ends à Avignon pour visiter le Palais des Papes, soirées à l’opéra ou au théâtre – mais sur le plan physique, rien, du moins pour Odile. Saint-Cyr avait beau vanter les plaisirs et les joies de la chose, la jeune fille demeurait inflexible : pas avant la nuit de noces, obligeant par conséquent Saint-Cyr à recourir aux services des prostituées de la rue Sainte. En fait, il avait rendu visite la veille à sa favorite, une brune plantureuse nommée Fortune qui sentait toujours la cigarette et le cassis.
    Odile. La vertu contre la mauvaise Fortune – quel contraste, songeait Saint-Cyr. D’un côté une grande blonde au profil pur, mince et élancée comme un garçon si ce n’était la rondeur des hanches et des seins, une vierge, et de l’autre, une brune, bien en chair, la nudité ample, au parfum de musc, une putain.
    Saint-Cyr soupira et termina son café au lait. Il commençait à se demander si, en définitive, il ne préférait pas les prostituées. Nul besoin de passer l’éternité avec elles, et elles étaient toujours disponibles rue Sainte. Il tira sa montre en or de son gousset, cadeau de son père pour sa licence, et souleva le couvercle. Huit heures et demie. Il était temps d’y aller. Il alluma une nouvelle cigarette, puis se leva et laissa quelques sous sur la table métallique. Il resta un instant planté sur le seuil, le regard fixé sur les nuages gris au-dessus des toits. Au moins le mistral s’était calmé durant la nuit après avoir soufflé trois jours d’affilée. Décidément, Saint-Cyr détestait bien Marseille en hiver, et peut-être même en toutes saisons. Il jeta sa cigarette dans le caniveau, puis traversa la chaussée humide de pluie en direction de la préfecture.
    « Bonjour, sergent Borely. Ravi de vous voir, comme toujours. Beau temps, n’est-ce pas ? Auriez-vous quelque chose pour moi qui marquerait d’une pierre blanche cette splendide journée ? »
    Borely baissa les yeux sur le jeune reporter. Assis sur une haute chaise derrière son comptoir, il dominait ses visiteurs alors qu’il était plutôt de petite taille. Il parvenait ainsi à intimider tout le monde, sauf ce galopin.
    « Ah, bonjour, Saint-Cyr. Une matinée froide et pluvieuse, comme souvent à cette saison. Et je n’ai rien de passionnant pour vous. » Borely jeta un coup d’œil sur son registre. « Deux femmes battues, une bagarre à coups de couteau, les vagabonds habituels, et un tire-laine qu’un citoyen nous a amené après l’avoir tabassé. Il avait la figure aubergine, mais il survivra pour répondre de ses péchés. »
    Saint-Cyr nota les détails de chacune de ces affaires à mesure que le sergent les lui communiquait : les deux cas de femmes battues s’expliquaient surtout par l’alcool, de même que l’agression à coups de couteau. Un ouvrier des tanneries levantin, ivre d’absinthe, avait tailladé au visage un marin algérien, lui tranchant presque le nez – le seul aspect inhabituel étant que l’Algérien était également soûl, ce qui n’arrivait pas souvent parmi les Nord-Africains, pour la plupart musulmans. L’histoire du tire-laine n’était pas inintéressante – les Marseillais aimaient que justice soit rendue. Saint-Cyr s’apprêtait à refermer son calepin. La pêche se révélait plutôt médiocre, mais les mardis, y compris les mardis soir dans le secteur du port, étaient en général

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