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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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la diplomatie et de la conciliation que pendant les dix années passées dans des trous à rats du genre Panama, Lima ou Marrakech à marchander sur les cours du café, des bananes et des épices. Il se sentait prêt à occuper le poste de consul général, mais il craignait d’être nommé dans l’un de ces minables pays qu’il n’avait été que trop heureux de fuir. Marseille n’était peut-être pas le plus bel endroit du monde, mais c’était l’un des principaux ports français, ce qui lui permettait de parfaire ses connaissances dans le domaine des accords commerciaux.
    Comme la voiture tournait sur la Canebière, il se lissa la moustache et regarda deux boulevardiers qui amusaient un petit groupe de jeunes femmes vêtues de robes longues, de manteaux et de chapeaux identiques, probablement des vendeuses ou des employées de bureau en uniforme. L’une d’entre elles, particulièrement jolie, petite mais bien faite, se tenait un peu à l’écart de ses amies qui ne cessaient de pouffer de rire. Quelle assurance, songea-t-il. Et quelle dignité. Pourquoi ne rencontrait-il jamais de filles pareilles ?
    Bell se savait plutôt séduisant. Il avait toujours pratiqué des sports – le lawn-tennis et la boxe à Yale, et il avait même été membre du premier club de hockey sur gazon. Il se radossa dans son siège et sourit au souvenir de leur entraîneur, un Indien Seneca qui travaillait comme gardien de stade à l’université et qui, pour seules consignes, leur criait : « Foncez, les gars, foncez » ou bien : « C’est la guerre, jeunes gens ! C’est la guerre ! »
    C’était drôle de voir à quel point le Seneca s’était intégré à l’Amérique : il en parlait la langue, s’habillait comme il convenait et se rendait tous les matins à la chapelle. Ce Sioux, par contre, ce Charging Elk, avait l’air d’un enfant perdu. Ce matin, il avait même dû lui montrer comment nouer ses lacets de chaussures ! Mon Dieu, pensa-t-il, et demain matin ? Combien de temps faudra-t-il à cet Indien pour qu’il apprenne à le faire seul ? Monsieur Soulas allait-il accepter une telle responsabilité au-delà de quelques jours ?
    Bell éprouva soudain un sentiment d’appréhension. Les Soulas étaient des gens bien, mais c’est lui qui avait à répondre de Charging Elk. Et si l’Indien décidait de s’enfuir ? S’il atterrissait de nouveau en prison ? Ou bien connaissait un destin tragique ? Ou encore – il n’osait y penser – s’il usait de violence sur un citoyen français, sur un membre de la famille Soulas ? Cela lui retomberait dessus. Et, bien entendu, l’affaire figurerait dans son dossier qui, jusqu’à présent, était vierge de toute tache, sans toutefois être spécialement flatteur. Il savait qu’on n’hésiterait pas à l’envoyer s’enterrer dans quelque petit pays latin ou sud-américain – ou pire, en Afrique du Nord où le danger rôdait en permanence.
    Il se tenait le dos raide et les poings serrés. Il n’ignorait pas qu’il suffisait d’une série de petites erreurs ou d’une seule grosse pour qu’on se retrouve exilé quelque part, ou même chassé du corps diplomatique. Et justement, se disait-il, sa grosse erreur avait été de ne pas impliquer davantage le consul général. S’il avait mis Atkinson au courant de la situation, tout écart de conduite de la part de l’Indien aurait eu des chances d’être couvert dans la mesure où la faute en aurait incombé autant au vieux qu’à lui.
    Bell regarda d’un air morose les piétons qui circulaient sur les trottoirs de la Canebière. Un jeune couple entra dans une boutique dont la devanture s’ornait d’un œil peint. Des bougies brûlaient dans la vitrine, et un rideau rouge en velours quelque peu fatigué masquait l’intérieur. L’homme, coiffé d’un turban, était vêtu d’une culotte de cheval et de grandes bottes marron, et la jeune femme, d’une tournure aux couleurs criardes et si large qu’elle passait à peine par la porte. L’Américain était habitué au spectacle de toutes sortes de bizarreries dans ce port étranger, mais là, il se demanda ce que ce couple extravagant pouvait bien chercher chez une diseuse de bonne aventure. Lui-même n’avait jamais été en consulter. Il nota cependant l’adresse, au cas où cela pourrait lui servir à voir clair dans sa vie amoureuse.
    La calèche prit le boulevard Peytral et vint se ranger devant le consulat. Bell songea qu’il

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