À La Grâce De Marseille
résista à la tentation, et effectua le reste du trajet les yeux fixés sur la nuque du cocher coiffé d’un haut-de-forme noir. Pour le moment en tout cas, elle se moquait de ce que les gens du quartier allaient penser. De fait, elle s’amusa même à s’imaginer qu’elle était le genre de dame que l’on promenait en calèche. Elle redressa le buste et affecta un doux sourire.
Franklin Bell eut du mal à cacher son étonnement en entrant chez les Soulas. Il n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait gagner un marchand de poisson, mais leur maison était plutôt spacieuse et agréable, meublée de sièges de velours, de beaux rideaux munis de cordelières à glands, de tables et de meubles cirés, avec des napperons et des têtières disposés partout aux endroits nécessaires. Il y avait même quelques lampes électriques. On sentait le confort douillet d’un foyer uni.
Pendant que madame Soulas préparait le thé dans la cuisine, son mari conduisit les deux hommes à l’étage. Charging Elk portait un sac marin à moitié plein, et Bell, juste une petite valise. Ils longèrent un couloir éclairé au fond par une fenêtre. Arrivé devant la dernière porte à gauche, monsieur Soulas s’écarta. « Voilà » , dit-il, les invitant d’un geste à entrer.
Bell s’exécuta le premier. « C’est parfait, monsieur. Tout à fait ce qu’il faut. »
La chambre n’était pas très grande, mais elle semblait d’une propreté presque excessive. Il y avait un lit en fer d’une personne couvert d’un édredon de couleur vive, un petit tapis de chanvre à côté, un bureau, un lavabo et un petit placard à moitié dissimulé derrière des rideaux de mousseline.
Charging Elk s’avança d’un pas hésitant, promenant son regard autour de lui, puis il se dirigea vers la fenêtre. Elle donnait sur une petite cour entourée d’un mur et, à sa surprise, il aperçut des cours semblables derrière les autres bâtiments, lesquels semblaient ne former qu’un avec la rue étroite interrompue cependant par un espace dégagé où l’on voyait des arbres et des buissons, des tables, des chaises et des parasols. À l’une des extrémités de la rue se trouvait même une remise adjacente à une écurie. Le cœur battant, Charging Elk compta sept chevaux attachés devant. La vue d’ici était bien différente de celle qu’offrait la haute fenêtre de la cellule de pierre.
Bell l’avait rejoint devant la fenêtre. « Belle vue, n’est-ce pas ? dit-il en anglais. Je sais que vous serez heureux ici, Charging Elk. Ce sont de braves gens – ils vont s’occuper de vous pendant quelques jours, et bientôt vous serez à bord d’un vapeur en route pour l’Amérique. Je vous le promets. »
Pour la première fois, Charging Elk regarda Bell dans les yeux. Son visage, un instant, parut refléter une émotion, mais le vice-consul fut incapable de dire s’il s’agissait de désespoir, de gratitude ou tout simplement d’incompréhension. Ne sachant quoi faire, Bell se contenta de lui tapoter l’épaule.
Après avoir fait le tour de la maison, ils prirent le thé dans le petit salon. Madame Soulas servit sur de petites assiettes de porcelaine des gâteaux au miel. L ’Indien mangea le sien à l’aide de la fourchette disposée à côté, ce qui ne manqua pas d’étonner la maîtresse de maison. Elle ignorait que Broncho Billy et les Indiens de la réserve lui avaient appris à utiliser un couteau et une fourchette. Ils s’étaient moqués de lui quand il avait embroché un morceau de viande sur son propre couteau avant de le déchirer à belles dents. C’était Sees Twice qui lui avait montré comment mettre la viande sur l’assiette afin de la couper avec le couteau émoussé tout en la maintenant avec le pic à plusieurs dents. Cela se passait encore en Amérique, à la gare d’Omaha, et déjà, Charging Elk avait regretté d’avoir quitté le Bastion.
Franklin Bell regarda Charging Elk manger, surpris lui aussi par ses manières délicates. Il ne s’était pas jeté sur le gâteau, et il ne toucha pas à son thé avant d’avoir fini de manger. Ensuite, il le but à petites gorgées, replaçant soigneusement la tasse sur sa soucoupe.
Le vice-consul se demanda si tous les Indiens du Wild West Show se comportaient si bien à table. Ils s’étaient produits à Paris durant sept mois, et ils y avaient sans doute appris certains des raffinements de la civilisation. Oui, mais justement, que
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