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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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à se pencher au-dessus de la surface cirée de son bureau en acajou pour faire glisser vers son vis-à-vis une feuille de papier tout en déclarant d’une voix lasse : « Nous avons un problème. »
    La première chose que Bell remarqua, ce fut le nom figurant dans le coin supérieur gauche, inscrit d’une écriture soignée : Charging Elk. En dessous, il y avait un tampon : Ville de Marseille – Archives. À droite du nom et du tampon, en lettres capitales, trois mots accrochèrent son regard : ACTE DE DECÈS, suivis de : de Charging Elk. Il leva les yeux sur Atkinson dont il croisa le regard fixé sévèrement sur lui. Il s’empressa de retourner à la lecture de l’acte de décès : « 6 janvier 1890… décédé à Marseille, ce matin, à quatre heures, à l’Hôpital de La Conception, âgé de trente-neuf ans. Indien de la troupe de Buffalo Bill. Célibataire ; né dans le Dakota (États-Unis d’Amérique) ; de passage à Marseille ; fils de…» L’espace était laissé en blanc. À supposer qu’il se fût réellement agi de Charging Elk, comment aurait-on pu savoir qui étaient ses parents ?
    Bell, soulagé, s’adressa à Atkinson avec un sourire : « Il y a eu une confusion. C’est Featherman. Il est bien mort le 6, et il avait bien trente-neuf ans. Je l’ai lu sur la fiche que les responsables du Wild West Show avaient fournie à l’hôpital. »
    Le consul général, les coudes plantés sur les bras de son fauteuil en cuir, avait joint les mains devant son visage. Il avait les yeux mi-clos, les paupières lourdes. Bell, qui n’était pas habitué à le voir ainsi, éprouva soudain une vive inquiétude. Pourquoi Atkinson prenait-il un air si grave à propos d’une simple erreur d’identité ?
    « Je me rendrai demain matin dès la première heure à l’hôpital pour demander qu’on rectifie. Ils ont dû intervertir les deux dossiers. Il n’y aura aucune difficulté. »
    Atkinson croisa les doigts et fit craquer ses jointures. Après quoi, il prit sa tasse de thé et fit pivoter son fauteuil vers les larges fenêtres qui donnaient sur un jardin. Bell suivit la direction de son regard. Les branches d’un platane soigneusement élagué se dressaient dans le ciel. Les Français, au moins, étaient d’excellents jardiniers et les espaces publics étaient toujours fort bien entretenus.
    « Je suis en poste dans cette ville depuis neuf ans, Frank. » Le vieil homme, profondément enfoncé dans son fauteuil, paraissait s’adresser au platane. « Et j’ai appris – souvent à mon grand amusement – que rien ici n’est jamais simple. Et si nous, je veux dire le consulat américain, existons, c’est précisément pour, dans la mesure du possible, rendre les choses simples. Nous nous efforçons de faciliter les échanges commerciaux, nous mettons de l’huile dans les rouages, nous veillons à ce que les Américains soient bien traités sans pour autant nous attirer les foudres des fonctionnaires, des industriels ou des cultivateurs. Parfois, il nous faut même recourir aux pots-de-vin, pas nécessairement sous forme de dessous-de-table, du reste, mais vous seriez surpris si je vous racontais tout ce que j’ai dû promettre à ces gens-là, Frank. » Bell entendit un petit bruit, presque un gloussement, s’élever du fauteuil d’où ne dépassait que le sommet du crâne chauve et luisant du petit homme replet. « Les choses finissent par se faire, mais quelquefois je me demande si le jeu en vaut la chandelle, Frank. »
    Bell était maintenant plus dérouté qu’inquiet. Qu’est-ce qui pouvait bien motiver ce discours ? L’histoire du certificat de décès ne posait pas de véritable problème. Peut-être que le vieil homme en avait assez des incessantes tracasseries, des efforts à déployer pour organiser les importations et les exportations, pour améliorer les relations entre Français et Américains. C’est vrai, Marseille ne ressemblait pas du tout aux autres endroits où Bell avait été en poste. Le Panama était encore virtuellement une colonie, mûre pour être pressée : les Américains achetaient pour rien la totalité des productions de café, de sucre et de bananes. De même, au Pérou, ils avaient quasiment le monopole sur le guano et les gisements de nitrate. Quant au Maroc, le pays ne possédait pas de ressources justifiant qu’on entre dans l’un de ces éternels conflits avec les Espagnols, les Français ou les Anglais. Marrakech avait

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