A l'ombre de ma vie
m’emmène dans
son ranch, à Topilejo. C’est une maison de famille qu’il habite seul, avec un
grand mur blanc tout autour, un ravissant jardin avec une statue religieuse au milieu
et dans un coin, sur la droite quand on passe le porche d’entrée, une petite
construction que je remarque à peine, comme une cabane de jardin. Au-dessus de
l’entrée, il y a le nom : « Rancho Las Chinitas ». Ce n’est pas
très grand, mais l’endroit a du charme. C’est à la sortie sud de Mexico, à une
petite heure de route du centre-ville, c’est un peu la campagne. C’est même
vallonné, je trouve le tout plutôt joli. À l’intérieur, il y a un billard et
nous y jouons une bonne partie de l’après-midi ; il fait beau et nous
passons un bon moment. Puis Israël me ramène chez moi, et quelques jours plus
tard il m’offre un disque que je ne connais pas. C’est une chose que font les
hommes, ici, ils dédicacent des chansons.
— Tu écouteras la numéro 12, elle me fait penser à toi.
Alors, j’écoute : la chanson est mièvre ; mais on
ne peut pas s’y tromper :
Un beau jour je t’ai vue
Et depuis je n’en peux plus…
Je ne suis pas vraiment amoureuse, je crois, mais comme je
suis seule, je me dis pourquoi pas ? Toute à mon bonheur, je me laisse
faire et c’est ainsi que commence une romance.
Au creux de l’automne, c’est l’époque des longues balades
dans la campagne, un vrai plaisir. C’est une saison qu’on ne connaît pas, dans
le nord de la France, délicieusement douce et claire. Israël fait monter ses
chiens dans la voiture et on prend des chemins agréables que je finis par
connaître par cœur. Au fil de nos promenades à deux, j’aime de plus en plus
notre bonheur tout simple. Sur la route du retour vers le ranch, il y a un marchand
de quesadillas [2] chez
lequel on finit par avoir nos habitudes.
Loin de la fureur du centre de Mexico, on vient souvent ici,
le week-end. Je me plais bien dans cette vie-là et je découvre un homme très
humain qui me parle de ses enfants, de ses parents, de ses frères et sœurs
qu’il souhaite que je rencontre bientôt. Pour l’instant, je pense plus à mon
travail, mais la famille c’est très important pour lui. D’ailleurs, il
travaille avec deux de ses frères, qui sont chacun propriétaire d’un garage
automobile. Lui s’occupe des pièces détachées qu’il achète selon les
besoins ; je n’arrive pas à savoir s’il est vraiment passionné par ce
qu’il fait, mais après tout ce n’est pas le plus important pour l’instant. Il
n’a pas l’air malheureux et je suis bien avec lui. Je ne me pose pas la
question de savoir si je l’aime. Je suis bien, voilà tout. Je suis sûre que
c’est un type bien, Israël, et je l’admire, même. Un soir, nous croisons des
enfants sur le bord d’une route. En jouant, un petit garçon s’étouffe devant nous,
et c’est Israël le premier qui court vers lui et lui porte secours. Il a fait
ça spontanément alors que je commençais à paniquer…
Israël ne veut pas souvent sortir avec mes amis. Il dit
qu’il a du travail, qu’il n’aime pas ça. Il préfère les longues balades, et il
ne veut pas trop entendre parler de ce que je vis avec mes amis, avec Lupita, à
l’appartement. C’est un peu comme si j’avais deux compartiments dans ma vie,
mais je m’en arrange très bien.
À la fin de l’année, je profite d’une promotion extraordinaire
pour rentrer en avion en France. Je passe Noël en famille chez mon frère
Olivier. C’est formidable, parce que je peux leur dire que je vais bien, que je
fais mon trou par la seule force de ma volonté. Je leur explique mon travail,
fière de montrer à mon père que j’ai appris de mes expériences passées et que
je peux encore réussir. Je leur parle également d’Israël. Je n’en dis pas trop,
juste assez pour qu’ils sachent à quel point je suis heureuse. Mais aussi un
peu par orgueil, pour rassurer ma mère, qui me regarde en souriant.
Pendant mon absence, Iolany en a profité pour travailler
dans les bureaux de Sébastien. Je ne sais pas si mon frère le souhaitait
réellement ou si elle ne lui a pas laissé le choix. Ce n’est même pas lui qui
me l’annonce. Je le sens un peu gêné. Il me propose de me donner un ordinateur,
de manière que je puisse travailler de chez moi. C’est une bonne solution,
après tout, mais j’aimais bien rencontrer tous ces gens ; maintenant je
crains de me sentir un peu mise
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