A l'ombre de ma vie
élections
présidentielles de 2006, et les principaux candidats ont des arguments très
forts dans le domaine de la sécurité. On commence à voir des affiches
d’associations qui réclament le rétablissement de la peine de mort pour les
auteurs de kidnappings, surtout quand les victimes sont des enfants. Longtemps,
ce sujet est resté tabou, mais la population commence à en parler, timidement,
parce que toutes les couches de la société sont touchées. Ce ne sont plus
seulement les classes aisées qui sont visées, avec de grosses rançons à la
clé : même le Mexicain moyen ne se sent pas en sécurité quand il prend un
taxi, par exemple. À Mexico, on dit que sur les cent mille Coccinelle vertes
qui font taxi, dix pourcent sont des pirates, que si vous tombez sur l’un
d’eux, vous avez une chance sur dix de vous faire racketter ou enlever… De plus
en plus souvent, aussi, des gens reçoivent un coup de téléphone leur apprenant
qu’un de leurs proches est séquestré et que s’ils veulent le revoir en vie, il
faut verser une rançon très vite. Les délinquants s’assurent seulement que la
personne en question n’est pas joignable et comptent sur la panique de leur
interlocuteur. Le plus souvent, ça marche. Et quand la personne rentre chez
elle, sans se douter de ce qui vient de se passer, sa famille comprend trop
tard qu’elle s’est fait abuser. Un procureur a dit récemment que la plupart de
ces coups de fil, que les autorités réussissent parfois à remonter, viennent de
l’intérieur des prisons. Même détenus, les membres des gangs les mieux
organisés continuent leur business. Voilà la réalité de la vie quotidienne au
Mexique. Mais je suis loin de tout cela, à ce moment-là. Je vis et je travaille
dans des quartiers plutôt protégés. Mon insouciance me protège, aussi. Et pas
un instant je ne peux imaginer que quelqu’un, dans mon entourage, est mêlé de
près ou de loin à de telles choses.
Israël a été charmant avec mes parents. Mais quand ils
rentrent en France, à la fin du printemps, je sens que notre histoire n’a plus beaucoup
d’avenir. Je ne vais pas très bien, parce que j’ai de nouveau perdu mon emploi.
C’est à cause de mon patron, architecte reconnu mais décidément insupportable
dans ses rapports humains. Plusieurs fois, je l’ai vu attraper des dossiers
complets dans les armoires et les balancer sur la table, ou sur nous quand il
n’était pas content de notre travail. Petit à petit, il prenait l’habitude
d’engueulades terribles où il en venait à nous insulter. Alors j’ai dit stop.
On ne me parle pas comme ça. Même pour travailler, pour ne pas me retrouver
encore une fois dans la panade, je ne suis pas prête à supporter n’importe
quoi. Et me revoilà sans emploi, avec l’été qui arrive et le loyer à payer.
Israël insiste encore pour que je m’installe au ranch, et je rends mon
appartement dont le bail arrive à son terme. C’est un nouveau moment difficile
parce que l’impression d’échec me revient. Je regrette mes quelques mois de
bonheur avec Sébastien, je me décide à dire à Israël qu’on ne vivra jamais rien
de bien sérieux tous les deux, et vers la fin du mois de juin je rentre en
France. J’ai laissé mes quelques meubles au ranch. J’ai dit à Israël qu’il
pourrait s’en débarrasser, peut-être les vendre, parce que sans doute je ne
reviendrai pas. Il dit que je dois réfléchir, que j’ai besoin de vacances et
que cela me fera du bien de passer quelques semaines en France. Je sens qu’il
espère encore, qu’il se dit que je vais revenir, sans doute parce qu’il me
connaît : j’ai horreur de rester sur un échec. Au moment où l’avion me ramène
vers Paris, le bilan que je dresse de mes deux années à Mexico n’est pas
fameux. Je n’ai pas ajouté grand-chose de réellement crédible sur mon CV.
Quelques boulots par-ci par-là, mais pour un employeur cela signifie aussi que
je n’ai pas été très stable. Au moins, je parle l’espagnol, maintenant.
Peut-être pas couramment, mais je me débrouille.
Je m’aperçois que c’est un peu compliqué de reprendre une
place qu’on a laissée deux ans plus tôt. Mes amis ont fait leur chemin, mes
parents sont toujours très occupés, et j’ai du mal à trouver l’énergie pour
redémarrer. C’est un début d’été un peu particulier, d’autant qu’à Londres une
série d’attentats meurtriers dans le métro jette une drôle d’angoisse
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