A l'ombre de ma vie
s’enchaîne. C’est à ce moment
précis que Lupita me laisse avec l’appartement sur les bras. Je ne sais pas
exactement ce qui lui passe par la tête, je crois qu’elle a un nouveau petit
ami : c’est peut-être une relation plus sérieuse, un coup de foudre ;
le fait est qu’elle part comme ça, du jour au lendemain, avec tout juste
quelques explications dérisoires. Elle a sans doute mal vécu le comportement
d’Israël, pour le peu qu’elle en a vu. Ce qui m’ennuie, dans tout cela, c’est
que mes parents arrivent dans quelques jours. Ils viennent passer deux semaines
à Mexico. Une avec moi, et une chez Sébastien. Et moi qui leur ai parlé de mon
bonheur, qui leur ai fait l’éloge d’Israël ! Je ne leur ai jamais confié
que je le voyais changer, bien sûr. Au téléphone, j’ai continué à raconter à ma
mère un bel amour qui me rendait heureuse. Autant pour les rassurer que par
orgueil – ah, mon orgueil ! De nouveau je renoue avec Israël. Il m’a
relancée, rappelée, et décidément je n’ai pas envie de voir le doute au fond
des yeux de mon père. Alors, je dis à Israël que nous devons fixer des règles,
qu’il doit comprendre que nous n’avons pas tout à fait la même culture et que
chez moi, en France, je n’ai jamais été attachée à un homme au point d’en
oublier mon travail. Je lui raconte des choses inconcevables pour son
tempérament latin. Mais je ne veux pas lâcher. Dans ce printemps qui revient,
j’ai vraiment le désir de montrer à mes parents que je vais bien, même si ce
n’est pas tout à fait vrai. Mon travail n’est pas facile tous les jours, avec
les sautes d’humeur de mon fou de patron et la jalousie maladive d’Israël qui
revient sans cesse sur mes expériences passées. Je lui explique que je ne me
suis jamais comportée comme une aguicheuse. Je dois justifier mes actes en
permanence, même ceux qui sont déjà loin derrière moi !
Après de longues discussions, j’ai l’impression que nous
avons retrouvé une sorte de paix ; il est redevenu l’homme charmant,
attentionné qui m’avait séduite quelques mois plus tôt ; et quand mes
parents arrivent, il a l’air sincèrement ravi de les connaître. Il les installe
chez lui, d’ailleurs, au Rancho Las Chinitas que j’ai appris à apprécier. Un
endroit vallonné et aéré qui plaît tout de suite à mes parents. Israël les
installe dans la chambre, et nous dormons dans le salon. Israël nous emmène
dans des restaurants qu’il aime, on prend des photos, je sers de traductrice et
je vois que ma mère s’entend bien avec lui. Ces quelques jours-là sont mes
derniers vrais moments de bonheur. Je profite de l’instant et tout le monde me
paraît heureux. Alors je le suis aussi. Israël répète à mes parents ce qu’il
m’a déjà dit : il a cinq frères, deux d’entre eux ont un garage, et c’est
là qu’il travaille. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il change souvent de
voiture.
Dans le passé, mes parents étaient venus en vacances au
Mexique et ils connaissent les plages touristiques : Acapulco, Cancún ;
mais depuis que Sébastien est venu s’établir ici, ils ont lu un tas de choses
sur le Mexique et l’insécurité qui y règne. À la télévision, dans les
magazines, on voit régulièrement des reportages sur la lutte des autorités
contre les cartels. La mafia de la drogue est extraordinairement puissante,
mais on craint au moins autant les enlèvements. C’est devenu une véritable
industrie. Chaque année, depuis le début des années 2000, on compte entre deux
mille et trois mille kidnappings, qui touchent tous les milieux. Et encore, les
policiers qui combattent ce phénomène disent que de nombreuses personnes
victimes d’enlèvement ont tellement peur qu’une fois la rançon payée elles ne
disent rien. Ce sont d’abord les gangs liés à la mafia de la drogue qui ont utilisé
ce moyen pour régler leurs comptes et faire payer les récalcitrants. Puis ils y
ont vu un moyen de récupérer l’argent perdu lors des opérations de l’armée, qui
leur mène une guerre sans merci. Mais tout cela est vicié par la corruption.
Parmi les chefs de la police, ou même les simples flics, les cartels ont fait
leur recrutement. Il arrive de plus en plus souvent que des bandes arrêtées
pour enlèvements comportent des policiers, parfois très haut placés. Au moment
où mes parents viennent me voir, débute une campagne pour les
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