À l'ombre des conspirateurs
tombâmes nez à nez avec le rustaud qui m’avait poursuivi.
Milo avait fort à faire avec Læsus qui se débattait furieusement, discernant là une chance de s’esquiver. Je dus m’occuper seul du fermier. Nous tournâmes en rond un moment, nous observant. Il n’avait pas son gourdin, cette fois-ci, mais d’après son attitude, je devinait qu’il pratiquait la lutte à mort dans sa version campagnarde. Après une brève empoignade, je me retrouvai sur le dos le souffle coupé. Mes vacances m’avaient tout de même fait du bien : j’étais en bonne forme physique. Je me relevai rapidement et, rendu méfiant, je me préparai à sa deuxième attaque.
Elle ne vint jamais. J’aperçus une espèce de fulguration ivoirine, et le robuste paysan s’écroula la tête la première. Quand il se réveillerait avec un méchant mal au crâne, nous serions partis depuis belle lurette. Une chèvre venait de le mettre hors combat. Une chèvre dont les grands yeux sauvages et l’expression enthousiaste me parurent familiers…
Elle poussa un long bêlement passionné avant de se jeter dans mes bras. J’eus le plus grand mal à calmer les attentions dont j’étais l’objet, de la part de ma vieille copine de Crotone.
— À chaque fois qu’on a allumé le feu pour la faire rôtir, elle a réussi à se sauver ! s’exclama Læsus, dégoûté. Elle a pas arrêté de nous emmerder. Tu peux la reprendre, Falco !
C’est ainsi que nous quittâmes cette planque minable : Milo traînait le capitaine au bout d’une corde, et moi ma sacrée chèvre – pardon ! ma chèvre sacrée – au bout d’une autre.
À Oplontis, je chargeai Milo de trouver une paillasse à Læsus dans la prison d’Herculanum. Mon ressentiment personnel me déterminait à m’occuper moi-même du sort de Pertinax. Milo comprenait très bien mon état d’esprit : mettre au point des vengeances était sa distraction favorite.
À l’auberge, Larius m’assura qu’ils n’avaient pas reçu la visite de l’ex-mari d’Helena Justina. Je pensais savoir pourquoi : il était bien trop égoïste et prétentieux pour concevoir qu’une fille de sénateur pourrait s’installer dans un établissement aussi modeste, avec pour seul souci d’aider des amis. Même s’il apprenait où elle se trouvait, nous n’avions plus rien à craindre. Æmilia Fausta avait tenu parole. Elle avait envoyé les litières promises, plus une garde armée venue d’Herculanum : des hommes si résolus qu’ils commenceraient à frapper avant de poser des questions.
J’attirai Larius dans un coin.
— Je m’en vais à la villa. Je compte sur toi pour veiller sur tout le monde. Ils doivent quitter la Campanie au plus vite. Je vais raconter à Helena qu’on ramène Petronius Longus à Rome sous bonne garde en tant que témoin principal, et qu’elle doit l’accompagner. Tu as été un compagnon précieux pendant ce voyage, Larius. Tu pourrais travailler avec moi. Dessiner la bataille d’Actium trois fois par mois risque de détruire ton âme. Tu devrais choisir un métier qui fait appel à ton cran, à tes qualités, et qui impressionne les filles. Je t’offre de devenir mon assistant, quand je serai de retour à Rome.
Mon neveu s’esclaffa de ma tirade. Il me répondit qu’il avait plus de cervelle que je n’avais l’air de le supposer.
Les bagages furent faits rapidement, et on apaisa les querelles enfantines. Le cortège quitta Oplontis le soir même, dans un flamboiement de torches dont la résine grésillait allègrement. Ouvrant la marche, Larius et le jeune pêcheur occupaient la carriole traînée par Néron. Ils transportaient l’énorme tonneau de vin acheté par Petronius. L’acolyte de Milo, la Crevette, s’était chargé de ma chèvre ; elle irait ensuite tenir compagnie à Néron dans sa ferme. Avant le départ, au moment de faire mes adieux à Helena, je fus incapable de lui mentir.
— Ah ! je vois. (Dans les cas graves, elle parvenait toujours à conserver son calme, mais obéir à mes instructions – ou simplement suivre mes conseils – n’était pas vraiment dans son caractère.) Marcus, tu as toujours l’intention d’arrêter Pertinax ?
— Il doit répondre de deux meurtres, et de l’agression de Petronius. Il ne s’agit plus d’un simple conspirateur pouvant bénéficier de la grâce de l’empereur. Après son arrestation sur l’ Isis, il doit en être conscient lui-même. N’ayant plus rien à perdre, il montrera
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