À l'ombre des conspirateurs
porte.
— J’ai l’impression d’être sa femme.
— Il essaie de dire quelque chose.
Le consul bredouillait avec beaucoup d’excitation :
— Helena… Gnæus.
Persuadé d’avoir compris, je demandai :
— Tu veux laisser tes biens à Helena pour qu’elle les transmette à Gnæus ?
Satisfait, il laissa retomber sa tête en arrière. Je croisai les bras pour lui montrer que je n’étais guère favorable à cette idée.
— Ça prouve ta confiance en elle ! Beaucoup d’autres prendraient ton argent et lèveraient le pied avec le premier homme musclé de bas étage au sourire coquin.
Il se remit à s’agiter et je laissai Gordianus le calmer. Utiliser Helena pour le bénéfice de Pertinax ne suscitait pas ma sympathie.
Après que Gordianus nous eut quittés, Marcellus et moi échangeâmes le même regard indigné. Je finis par lui dire, sur le ton de la conversation :
— Helena Justina ne se remariera jamais avec ton fils !
Caprenius Marcellus continua de me fixer d’un regard accusateur. Je suis certain que l’ex-consul avait fini par deviner quel membre des classes inférieures avait corrompu sa belle-fille.
Nous attendîmes quatre jours. Un message discret de Bassus, toujours à Positanum, m’informa qu’assez de navires s’étaient rassemblés pour mettre en action le deuxième volet de mon plan.
Je me rendis à Oplontis pour avoir une conversation amicale avec le père de l’ancien soupirant d’Ollia. Cette nuit-là, tous les pêcheurs de thon hissèrent la voile et partirent avec leurs lanternes. La nouvelle se propagerait comme une traînée de feu : Aulus Curtius Gordianus, un prêtre distingué, venait d’hériter de la villa de son frère sur la falaise de Surrentum. Il avait décidé de célébrer cet héritage en organisant un banquet pour ses amis – de sexe masculin, uniquement. Une extraordinaire danseuse espagnole de Valence, aux mensurations incroyables, avait été spécialement engagée pour l’occasion. Et il avait commandé d’énormes quantités de vin…
La danseuse ne se matérialisa jamais, mais pour le reste, Gordianus se jeta dans l’aventure avec une fougue donnant à penser qu’il avait dû connaître semblables fêtes dans sa jeunesse. Malgré la nuit brillante d’étoiles, il fit allumer des grands feux partout pour que le moindre pique-assiette pût le trouver facilement. Quand les trirèmes de la flotte de Misène accostèrent, le bon Gordianus se contenta de soupirer, en homme préférant leur donner accès à ses tonneaux plutôt que d’avoir des ennuis.
Les vins étaient capiteux. Certains crus vieillissaient chez son frère depuis une quinzaine d’années. Tout le monde pouvait se servir quand bon lui semblait, et l’hôte donnait des conseils philosophiques pour éviter les maux de tête. Pour une fois, les marins burent jusqu’à l’inconscience totale.
Une heure avant l’aube, j’abandonnai cette révoltante assemblée. Je remontai lentement le sentier qui grimpait derrière la maison et regardai vers le nord, en grimaçant pour essayer de percer l’obscurité. Il me sembla distinguer d’immenses formes fantasmagoriques avançant sur l’eau avec une extrême lenteur : les quinze milliards de boisseaux de grain nécessaires pour nourrir Rome l’année prochaine.
Je repartis immédiatement pour Oplontis.
Pendant que le vieil homme dormait, je fouillai la maison et les dépendances, sans y trouver aucune trace de Pertinax. En revanche, je rencontrai Bryon et lui appris que j’avais déjoué les plans du jeune maître.
Après avoir dormi un peu pour me débarrasser de ma gueule de bois, je fis de nouveau un tour dans les écuries. Elles me parurent encore plus désertes que d’habitude. J’entendis des sons étouffés qui me guidèrent vers la sellerie. J’y trouvai l’entraîneur solidement ligoté.
— Par Jupiter ! Qui t’a fait ça ? (Bryon avait beau être costaud, il venait de prendre une bonne raclée. Il avait les lèvres fendues au point de pouvoir à peine parler, et des contusions qui faisaient peine à voir.) C’est Pertinax, hein ? Ça semble être sa distraction favorite !
Je mouillai le foulard de Bryon et l’appliquai sur les plus vilaines ecchymoses.
— Je l’ai surpris dans le grenier, et je lui ai répété ce que tu m’avais dit à propos de son plan.
— Et il s’est vengé sur toi ? Bryon, tu devrais t’estimer heureux de t’en être tiré à si bon compte. Où
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