À l'ombre des conspirateurs
est-il, maintenant ? Dans la maison avec le consul ?
— Il est parti, Falco.
J’en doutais : Pertinax avait trop besoin d’argent. Je traînai. Dans la maison, les domestiques m’affirmèrent que personne n’avait rendu visite à Marcellus. Je pénétrai dans la chambre du malade, accompagné de l’entraîneur.
— Raconte au consul ! lui ordonnai-je.
Très mal à l’aise en présence de l’invalide, Bryon se tint coi un moment, puis il se décida.
— Je suis tombé sur le jeune maître, et je l’ai prévenu que l’agent de l’empereur avait déjoué son plan.
— Alors il t’a frappé, attaché et enfermé dans la sellerie. Il t’a demandé des nouvelles de son père ?
— Non, mais je lui ai appris que le consul avait eu une attaque, et qu’il l’avait fait demander, indiqua Bryon de la même voix égale.
— Il est parti quand même ?
— Oui, acquiesça l’entraîneur sans oser regarder le vieil homme. Je l’ai entendu s’éloigner au galop sur le rouan. Il avait l’air pressé.
Je fis le tour du lit sur lequel Marcellus gisait immobile, les yeux fermés.
— Il vaut mieux affronter la réalité. Pertinax t’a abandonné, abandonne-le à ton tour !
À le voir ainsi allongé, on oubliait sa haute taille et sa formidable présence. Même son nez immense paraissait quelque peu rapetissé dans son visage qui portait les stigmates de la douleur. L’un des hommes les plus riches de la Campanie avait perdu tout ce qui comptait pour lui. Je fis signe à Bryon et nous quittâmes doucement la pièce.
L’ex-consul ne tenterait plus de sauver Pertinax. La maladie et la trahison avaient réussi, là où j’avais échoué.
Excellent cavalier, Pertinax connaissait parfaitement la région. Je sortis moi-même un cheval de l’écurie, afin d’aller prévenir les factionnaires du magistrat d’ouvrir l’œil pour le rouan. Sans nul doute, il était déjà trop tard, surtout que nous n’avions aucune idée de la direction qu’il avait prise. Une fois de plus, il nous avait semés. Je retournai à la Villa Marcella.
Quand votre famille vous trahit de la sorte, la dernière chose dont on ait envie, c’est une visite de voisins curieux. Je trouvai Æmilius Rufus venu présenter ses respects au malade. Sa sœur faisait les cent pas sur la terrasse, son regard triste fixé sur la mer. Elle était vêtue de noir et portait un voile épais qu’elle avait rejeté en arrière.
— Æmilia Fausta, je suis désolé pour Crispus. Je n’ai rien pu faire.
Elle avait épuisé tout le chagrin que lui avait infligé son amant du temps où il vivait. Maintenant qu’il était mort, elle accepta mes condoléances noblement.
— Crispus était un homme particulièrement talentueux, Falco. Tu seras fier de l’avoir connu.
Ce commentaire n’engageait qu’elle. Après un moment de silence, je lui dis en souriant :
— Les couleurs sombres te vont bien.
— Oui, acquiesça-t-elle avec un petit rire. Didius Falco, tu avais raison : mon frère m’a offensée, je ne souhaite plus vivre avec lui. Je vais peut-être épouser un vieil homme riche… Quand il sera mort, je profiterai de mon état de jeune veuve, vêtue de couleurs sombres. Je serai très exigeante et crierai après tout le monde. Ou bien je jouerai très mal de la cithare pour moi seule.
Je chassai de mon esprit la pensée que cette honorable dame arpentait la colonnade pour estimer les biens du consul.
— Æmilia Fausta, répondis-je galamment, parole de professeur, tu joues très bien.
— Je t’ai toujours pris pour un menteur, Falco.
Elle épousa l’ex-consul. Dès le lendemain, Curtius Gordianus interpréta les augures, concoctant les mensonges habituels à propos de bons présages annonçant une longue vie commune. Le chagrin et la maladie rendant Caprenius Marcellus incohérent, c’est moi qui prononçai les vœux de mariage à sa place. Personne ne se montra assez mal élevé pour demander comment s’était déroulée la nuit de noces. Naturellement, le marié modifia son testament, laissant tout à sa jeune épouse et aux enfants qu’ils pourraient avoir ensemble. C’est moi qui l’aidai à rédiger le document.
Je ne revis jamais Æmilia Fausta, mais j’entendis parler d’elle de temps à autre. Après une heureuse et digne vie de veuve, elle mourut dans l’éruption du Vésuve. Avant cela, elle avait soigné Marcellus avec un grand dévouement. Il survécut assez longtemps pour savoir que
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