À l'ombre des conspirateurs
le nom de mon cheval.
Ferox portant la responsabilité de toutes mes économies, je brûlais d’envie d’assister à la course. Alors, quand Titus Cæsar m’envoya une invitation à le rejoindre dans la loge impériale, je m’y rendis à toutes jambes.
D’autant plus qu’il s’agissait du seul endroit dans tout le cirque où Anacrites n’oserait pas venir me chercher des noises.
En plus jeune, et surtout en plus décontracté, Titus Cæsar était une copie conforme de son impérial papa. Il me connaissait suffisamment pour ne pas s’étonner que je fasse irruption avec une toge froissée sous un bras, et non impeccablement drapée autour de moi comme le protocole l’exige.
— Désolé, Cæsar ! J’étais en train d’aider à ramasser le crottin. Ils manquent de personnel.
— Falco ! (Comme Vespasien, Titus semblait me considérer tantôt comme le pire subordonné du palais, tantôt comme le plus distrayant.) Mon père dit que tu considères Petit Chéri comme de la chair à saucisses. Ça, au moins, c’est clair !
J’émis un petit rire gêné, tout en enfilant ma toge à la hâte.
— Cæsar, les paris contre mon pauvre sac d’os sont à cent contre un !
— Pas mal ! s’exclama Titus en m’adressant un malicieux clin d’œil.
Je lui exprimai que je le croyais assez raisonnable pour ne pas parier sa tunique pourpre sur une rosse comme la mienne. Il adopta un air pensif, puis ajusta sa couronne de laurier, se leva pour que la foule puisse acclamer sa personne, et laissa solennellement tomber le foulard blanc pour donner le départ.
C’était une course réservée aux chevaux de 5 ans. Parmi les dix inscrits, l’un des concurrents refusa de prendre le départ. Jusqu’à l’arrivée de Ferox sur la ligne, le favori du public avait été un grand Maurétanien à la robe grise. Beaucoup de parieurs prétendaient aussi qu’un petit cheval noir de Thrace constituait une valeur plus sûre. Notre Ferox était espagnol, aucun doute là-dessus. Sa moindre attitude, la flamme qui brûlait au fond de ses yeux l’attestaient suffisamment.
Quand les esclaves levèrent les cordes à l’unisson, le Maurétanien prit tout de suite la tête, suivi de près par Ferox. Petit Chéri, gêné par un cheval marron à chaussettes blanches, se retrouva bon dernier.
— Ah ! murmura Titus Cæsar, du ton de l’homme qui a misé sa dernière tunique et se demande si son frère va accepter de lui en prêter une. (Son frère étant le mauvais coucheur Domitien, ses chances étaient maigres !) C’est une tactique, Falco ? demanda-t-il pour que je le rassure.
Je me contentai de lui adresser un bref sourire, préférant me concentrer sur Ferox.
Sept tours offrent assez de temps aux connaisseurs pour laisser fuser de nombreux commentaires. J’entendis dire que le terrain était superbe, que le Maurétanien avait beaucoup de tempérament, mais qu’il ne finirait pas en tête parce qu’il manquait d’entraînement, que les chaussettes blanches prenaient mal leurs virages, tandis que les foulées régulières du petit cheval noir de Thrace laissaient bien augurer du résultat.
— Il est généreux, il est vrai ! s’écria un garde qui avait parié sur lui.
En trois tours, malheureusement, le petit cheval noir de Thrace avait donné tout ce qu’il avait.
Quand vous regardez courir vos économies, sept tours, c’est très long. Au moment où on descendit le quatrième des œufs de bois indiquant le nombre de tours courus, il régnait le plus grand silence dans la loge impériale. C’était devenu une course à deux chevaux : Ferox et le Maurétanien. Ferox possédait la grâce et l’élégance ; il courait la tête haute pour bien voir les chevaux qui se trouvaient devant lui ; sa queue flottait toute droite derrière. On pouvait lui faire confiance pour se montrer aussi rapide que tous ses concurrents. Très vite, je commençai pourtant à suspecter que notre bel étalon appréciait de voir un autre cheval devant lui.
— Je crois que le tien gagne du terrain, émit Titus en guise de politesse. Il va peut-être parvenir à les remonter.
— Il leur a peut-être laissé un peu trop d’avance ! répondis-je gravement.
Petit Chéri était passé de la neuvième place à la huitième, mais uniquement parce que le huitième venait de faire une chute qui l’avait obligé à abandonner. Je l’observai pendant un moment. Il était vraiment épouvantable. Même aux yeux
Weitere Kostenlose Bücher