À l'ombre des conspirateurs
énorme bouquet de roses pour une somme tout aussi colossale.
— C’est parce qu’elles viennent de Pæstum, argumenta le fleuriste pour expliquer le prix.
— Alors, ça ne m’étonne pas, répondis-je.
Je fis porter les roses à Helena. Sentimentale comme je la connaissais, elle aurait préféré l’une des fleurs de mon balcon, mais sa mère faisait partie des femmes qui n’ont rien de plus pressé que d’évaluer le prix d’un bouquet.
Helena était forcément réveillée, maintenant, mais on me refusait toujours l’entrée de la maison. Devant mes yeux se profilait le souvenir de son visage blême, tel qu’il m’était apparu hier.
Puisque personne ne m’aimait, je partis vers le stade pour assister aux courses. J’y arrivai à midi, au beau milieu de démonstrations d’athlétisme. Comme à l’accoutumée, les arcades extérieures servaient de refuge à des tas de petits commerces offrant des pâtés tiédasses et des boissons coûtant deux fois le prix habituel. Le contraste entre leurs tristes étals et les dorures environnantes était saisissant. Les prostituées attiraient bruyamment l’attention d’éventuels clients, imitant en cela les teneurs de paris.
Il n’y avait que moi pour espérer coincer un criminel dans le plus grand stade de Rome. Y pénétrant par l’une des portes donnant sur l’Aventin, j’eus l’impression de me heurter à un mur de bruit. La loge impériale se situait sur ma gauche, au-dessus de la ligne de départ. Les deux tiers des gradins de marbre étaient en plein soleil. Dans l’ancien temps, les hommes et les femmes s’asseyaient ensemble, et le cirque Maximus constituait le meilleur endroit pour trouver une compagnie féminine. Aujourd’hui, la loi séparait les sexes. Je pouvais donc éliminer les rangées réservées aux femmes, aux jeunes garçons accompagnés de leurs tuteurs et aux écoles. Je pouvais aussi raisonnablement penser que Pertinax ne se risquerait pas à prendre place sur l’estrade basse, en compagnie de ses collègues sénateurs. Vu sa prétention, il ne se mêlerait certainement pas aux plébéiens et aux esclaves s’entassant dans les galeries supérieures. Il n’en restait pas moins beaucoup de possibilités. Le cirque occupait un espace qui s’étendait du marché au bétail du Forum à la vieille porte Capena. Il pouvait accueillir un quart de million de spectateurs, plus des hordes d’employés vaquant à leurs occupations, et les nombreux édiles traquant les coupe-bourses et les prostituées.
Je commençai néanmoins à dévisager courageusement les spectateurs d’un premier bloc. Je ne tardai pas à être saisi d’une espèce de vertige, et tous les visages m’appartient bientôt comme une masse tout à fait floue.
Ce n’était pas le bon moyen de trouver un charançon dans un sac d’avoine. J’empruntai l’escalier suivant pour redescendre vers les arcades, afin de montrer aux marchands ambulants et aux petits groupes de prostituées le dessin de Larius. Tout au bout, je tombai nez à nez avec Famia. Il me présenta plusieurs personnes à qui je montrai aussi mon portrait de Pertinax.
La politesse m’obligea à aller contempler les efforts de mon beau-frère pour présenter mon cheval de course sous son meilleur jour.
Sa queue attachée très haut et sa crinière mitée entièrement tressée, Petit Chéri ne paraîtrait jamais plus beau. Famia lui avait trouvé une selle, mais dépourvue des franges d’or et des harnais incrustés de perles de certains de ses concurrents. Au grand mécontentement du calamiteux mari de Maia, je continuai d’affirmer qu’il allait perdre d’une façon piteuse. J’ajoutai que, puisque c’était la seule occasion que j’aurais de présenter mon cheval sur un champ de courses, je voulais le voir courir pour les Bleus. Famia fit la gueule, mais je refusai d’en démordre. Ferox apparaissait plus magnifique que jamais dans sa robe couleur de mûre. Près de Petit Chéri, il monopolisait toute l’attention. Heureusement ! Les langues allaient bon train parmi les teneurs de paris. Ferox allait courir pour les couleurs du clan Marcellus-Pertinax : les Blancs.
Je m’amusai à jouer au propriétaire pendant un petit moment, laissant les parieurs se moquer de moi. Ce devoir accompli, je partis déjeuner avec Famia.
— Tu vas parier, Falco ?
— Une petite somme.
Pour mon beau-frère, il était impensable de ne pas parier sur son propre cheval. Je me gardai
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