Abdallah le cruel
l’interruption des saifas
contre les Chrétiens et de la mort de Saïd Ibn Walid Ibn Mustana. Abdallah
avait désormais les mains libres pour s’attaquer à lui. Le wali jugea donc plus
prudent de faire allégeance à l’émir en lui payant tribut. Il accepta de lui
reverser au dihrem près les impôts collectés en son nom et de lui fournir des
contingents militaires dont chaque levée affaiblissait ses propres forces. Sa
seule consolation fut de pouvoir enfin retrouver son fils aîné. Dès qu’il
apprit la soumission effective de son père, Abd al-Rahman Ibn Ibrahim Ibn
Hadjdjadj sollicita une audience du souverain et se présenta à lui, vêtu comme
s’il s’apprêtait à partir pour un long voyage. Abdallah le salua chaleureusement
et lui dit en riant :
— Aurais-tu l’intention de
devenir hadj ? Tu es bien jeune pour faire le pèlerinage à La Mecque.
Généralement, seuls quelques vieillards entreprennent ce périple afin d’expier
leurs multiples péchés.
— Je ne désire pas quitter
al-Andalous, mais je te supplie de me renvoyer sur-le-champ chez mon père, dans
ton propre intérêt.
— Que s’est-il passé ? Mon
petit-fils t’aurait-il offensé ?
— Il n’a pas de meilleur ami
que moi et c’est précisément ce qui motive ma demande. Il ignore tout de mes
intentions. Quand je l’ai quitté ce matin, je lui ai dit que j’allais en ville
me procurer un jeune poulain qu’il a remarqué dans tes écuries.
— Je suis heureux de le lui
offrir. Ramène-lui ce soir. Je suis prêt à lui passer tous ses caprices. Depuis
sa naissance, il y a onze ans, il est la seule lumière qui ait éclairé mon
existence.
— Dans ce cas, n’oublie pas de
venir avec cette monture pour lui en faire cadeau lors de ta prochaine visite.
Cela le consolera de mon départ que tu auras la pénible tâche de lui expliquer.
— Pourquoi tant de hâte à
quitter Kurtuba ? Tu as refusé de le faire quand tu étais mon captif sur
parole. Depuis plusieurs semaines, tu es complètement libre de tes mouvements
et tu as cessé d’être officiellement otage.
— Je le sais. J’ai bien
remarqué la disparition soudaine de deux domestiques que tu avais sans doute
chargés de surveiller mes faits et gestes.
— C’est un vieux reste de
méfiance que je te prie de bien vouloir me pardonner. Dieu sait en quelle
estime je te tiens depuis que tu as sauvé la vie de mon petit-fils.
— Tu me l’as prouvé en de
multiples occasions.
— Dans ce cas, reste à
al-Rusafa. Je crois d’ailleurs savoir que tes relations avec ton père étaient
loin d’être excellentes.
— Je ne l’ai jamais caché. Je n’ai
pas apprécié son remariage avec la veuve du prince Hisham et j’ai considéré mon
enlèvement par tes agents comme une quasi-libération. Cela m’a évité d’avoir à
me quereller avec lui. La perspective de le retrouver ne m’enchante guère. Nous
avons peu de choses à nous dire et je sais que je lui reprocherai sa conduite à
ton égard. Il ne mesure pas la chance d’avoir un souverain tel que toi.
— Tu me flattes. J’ai beaucoup
de défauts et tu serais étonné de découvrir certains des crimes que j’ai laissé
commettre en mon nom.
— Et dont je n’ignore rien. La
rumeur publique s’est chargée de dissiper les illusions que j’aurais pu avoir.
Ce sont là des actes inhérents à ta charge et je ne t’envie pas. Non, je dois
partir car c’est rendre un mauvais service à Abd al-Rahman que de rester à ses
côtés. Il m’aime beaucoup et me fait une entière confiance.
— Il n’a pas tort.
— Justement, c’est mal le
préparer à ta succession que de le laisser vivre dans une telle atmosphère. Il
s’imagine que ton royaume ressemble à al-Rusafa et est peuplé d’amis loyaux et
de serviteurs fidèles. Il est arrivé à l’âge où il doit prendre conscience
qu’il doit se méfier de tout le monde, y compris de ses proches. Mon départ le
bouleversera. Il m’en voudra à mort et n’accordera plus jamais sa confiance à
qui que ce soit puisque son meilleur ami, son sauveur, a été capable de le
trahir et de l’abandonner. C’est ce que je souhaite. Au moins, régnera-t-il
seul et n’aura pas de favori, contrairement à ce que fit ton père avec Hashim
Ibn Abd al-Aziz.
— J’apprécie hautement ta
loyauté et ton intelligence. D’autres que toi auraient eu la patience
d’attendre ma mort pour être assurés de devenir hadjib ou commandant
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