Abdallah le cruel
cents soldats
étaient restés auprès d’Ahmad Ibn Moawiya, confiants dans ses pouvoirs. Le
souverain rassembla à la hâte ses cavaliers et sortit au grand galop de la
forteresse pour fondre sur l’ennemi. Il n’y eut pas un seul survivant.
Alphonse III revint en
triomphateur à Oviedo et offrit à l’Église de nombreux domaines pour remercier
son Créateur de lui avoir donné une victoire qu’il attribua à un miracle. Les
prières qu’il avait adressées à l’apôtre Jacques avaient été exaucées. Le saint
avait intercédé auprès du Christ pour qu’il vienne au secours des défenseurs de
la foi chrétienne et punisse les Infidèles assez stupides pour faire confiance
à un charlatan. Il envoya la tête d’Ahmad Ibn Moawiya à l’émir. Abdallah
apprécia ce cadeau et convoqua l’évêque de Kurtuba.
— Tu as pu constater que j’ai
tenu ma promesse et que plusieurs des tiens travaillent maintenant dans ma
chancellerie, lui dit-il.
— Je puis te l’assurer, noble
seigneur, ils te sont particulièrement reconnaissants de cette faveur. Parmi
eux se trouve mon frère. Il était persuadé que notre parenté serait un obstacle
à sa nomination.
— Il est très compétent et je
ne lui en tiens pas rigueur. Il a choisi de servir un maître terrestre dont il
peut mesurer chaque jour les bienfaits.
— Je sers mon Dieu qui me
récompensera dans le monde futur de mes efforts.
— Tu oublies que tu me sers
aussi.
— Cela aurait été te faire
insulte que de le mentionner, s’empressa de préciser le prêtre qui avait cru
déceler, à juste titre, un piège dans les propos du souverain.
— C’est pour cette raison que
je t’ai fait venir. Je souhaite te confier une mission.
— Je l’accepte.
— N’aie aucune crainte, tu
n’auras pas à agir contre ta conscience. On m’a rapporté que tu étais
originaire d’Ishbiliyah.
— Effectivement.
— On m’a dit aussi que tu avais
des parents dans le Nord, trois frères nommés Ataulfus, Fredenandus et Félix.
— Ce sont les fils de mon
oncle. J’ai grandi avec eux et avec leur aîné, aujourd’hui disparu,
Gundisalvus. Ils ont choisi d’émigrer quand Ibrahim Ibn Hadjdjadj s’est
proclamé wali de la ville. Ils se méfiaient de lui. Je leur ai proposé de venir
s’installer à Kurtuba mais ils ont refusé.
— Sur un point au moins, je ne
leur donne pas tort. Se méfier d’Ibrahim Ibn Hadjdjadj n’est pas un crime,
c’est une sage précaution. Tu peux constater que je te parle franchement.
— Je suis un homme discret et
tes propos ne sortiront pas de cette pièce.
— Que tes parents se soient
installés chez leurs frères du Nord m’aurait, en d’autres temps, mécontenté.
Pour l’heure, j’y trouve avantage. Je crois qu’ils sont les conseillers
d’Alphonse III.
— Tu es bien informé, noble
seigneur.
— Je souhaite que tu leur
rendes visite, tu trouveras bien un prétexte pour justifier ce déplacement que
j’autorise. Dis leur de transmettre à leur protecteur ce message :
« Abdallah te remercie de ton présent et souhaite vivre en paix avec toi.
Si tes armées ne franchissent pas le fleuve qui sépare nos territoires, les
miennes en feront de même. »
— Ce sera fait.
L’émir n’ignorait pas qu’en dépit de
ses protestations, l’évêque avait la réputation d’être incapable de garder le
moindre secret. Il ne fut donc pas surpris outre mesure d’apprendre par ses
espions que le bruit courait en ville qu’aucune saïfa ne serait levée dans les
années à venir contre les Chrétiens. Une période de paix et de prospérité
semblait sur le point de s’ouvrir.
C’était une grossière exagération.
Abdallah avait certes déposé les armes contre les Chrétiens, mais les retourna
contre ses propres frères. Il fit ainsi exécuter tous les otages livrés par
Samuel Ibn Hafsun, à l’exception de Saïd Ibn Walid Ibn Mustana. Ses gardes
reçurent l’ordre de le laisser s’évader peu avant la tuerie, et le prisonnier
sauta sur l’occasion. Le plan de l’émir fonctionna à merveille. Quand il apprit
l’exécution des otages et la fuite de son complice, Samuel Ibn Hafsun accusa
son complice d’avoir acheté sa grâce en acceptant de l’espionner et le fit
exécuter. Abdallah jubilait : son adversaire avait ainsi perdu de lui-même
un lieutenant fidèle et compétent.
À Ishbiliyah, Ibrahim Ibn Hadjdjadj
n’avait pas caché son mécontentement à l’annonce de
Weitere Kostenlose Bücher