Abdallah le cruel
imaginer quel était mon désespoir à l’idée d’être
emmené loin de chez moi et de ne plus pouvoir célébrer nos fêtes et observer
les commandements de notre religion. J’ai fait mine de boiter et d’être atteint
d’une fièvre maligne pour décourager les acheteurs. Trois négociants se sont
présentés et mon cœur a tressailli d’allégresse en les entendant parler entre
eux en hébreu. Je me suis fait reconnaître d’eux et j’ai appris qu’ils
appartenaient à la tribu d’Issachar qui vit dans la région de Sin [56] .
Leur roi, Nahabon, consacre tous ses loisirs à l’étude de la Torah et règne sur
des domaines si vastes qu’il faut plus d’un mois pour aller d’un bout à l’autre
de ceux-ci. Ils ont pour voisins les tribus de Ruben et de Zébulon.
« Ces hommes généreux n’ont pas
hésité un seul instant à me racheter à mes geôliers et m’ont traité comme un de
leurs fils. Ils m’ont prêté de l’argent et m’ont donné des lettres de
recommandation pour leurs frères des tribus d’Ephraïm et de Menasse qui sont
établis non loin de La Mecque et de Médine. Ils sont dirigés par un roi, Adiel
Ben Malkiel, un prince, Eliazaphan, et un juge, Abdan Ben Michaël, dont nul ne
conteste les sentences. J’ai vécu plusieurs années chez eux et, l’Éternel ayant
béni mes efforts, j’ai pu amasser une fortune considérable. J’aurais pu vivre
de celle-ci, mais j’ai préféré me consacrer à des œuvres pieuses. Ayant
rencontré, au hasard de mes pérégrinations, des marchands juifs de Bagdad et
ayant appris qu’ils possédaient des Académies où l’on étudiait sans relâche le
Talmud, j’ai décidé de me rendre à Sura et à Pumbedita pour informer leurs
chefs que, contrairement à ce qu’ils croyaient, les dix tribus n’avaient pas
disparu et que le moment était venu de rassembler les rameaux dispersés
d’Israël. Bénissant l’Éternel pour ses bontés, ils m’ont chargé d’apporter
cette bonne nouvelle à toutes les communautés de l’Orient et de l’Occident.
C’est ainsi que j’ai parcouru la Babylonie, Eretz Israël, où j’ai prié sur les
ruines du Temple, l’Égypte et l’Ifriqiya avant d’arriver dans votre cité d’où
je compte partir pour me rendre en Ifrandja [57] où vivent plusieurs milliers de nos frères.
« Sachez que, si vous le
souhaitez, nous serons heureux de vous accueillir dans les terres qui nous
appartiennent et où vous serez des hommes libres, obéissant à des souverains
issus de la semence d’Abraham et où vous ne serez plus contraints de payer de
lourdes taxes pour être autorisés à pratiquer notre sainte religion. Quand le
Saint, béni soit-Il, aura rassemblé des quatre coins de la terre Ses enfants,
alors l’heure de la délivrance sera proche. Il nous ramènera à Sion pour y
rebâtir son sanctuaire. Voilà les bonnes nouvelles que j’avais à vous
communiquer.
Eldad le Danite regarda l’assistance
et constata que cette dernière avait changé d’attitude. Ses propos avaient
commencé par soulever l’enthousiasme de ses auditeurs dont plusieurs avaient
laissé éclater des cris de joie. Mais la conclusion de son discours les avait
troublés. Beaucoup n’avaient aucune envie de quitter leurs foyers et le pays où
leurs ancêtres vivaient depuis des temps immémoriaux. D’autres redoutaient
qu’un traître, parmi eux, n’avertisse l’émir que ses sujets juifs s’apprêtaient
à reconstruire, à Jérusalem, leur sanctuaire sur l’emplacement duquel les
Chrétiens et les Ismaélites avaient édifié, à tour de rôle, une église et une
mosquée. Des murmures désapprobateurs parcoururent l’assistance et Eldad jugea
bon de rassurer les fidèles :
— Sachez qu’il s’agit là d’une
œuvre de longue haleine et que Dieu seul décidera si nous sommes dignes ou non
de voir s’accomplir cet événement. Il se peut que ce ne soit pas le cas en
raison de nos péchés. Rien ne presse et nous aurons l’occasion de reparler de
tout cela.
Après cette journée mémorable, les
Juifs de Kurtuba se scindèrent en deux fractions antagonistes dont les
désaccords provoquèrent des brouilles au sein des familles. Les uns
considéraient Eldad si ce n’est comme le Messie, du moins comme l’un de ses
envoyés, et lui donnaient de grosses sommes d’argent. Les autres, craignant les
représailles des autorités, le considéraient au mieux comme un fou, au pis
comme un escroc. L’ayant fait suivre,
Weitere Kostenlose Bücher