Abdallah le cruel
manuscrit posé sur un coussin, il avait revêtu une somptueuse
tunique de soie. Marchant d’un pas lent et assuré, il prit place auprès
d’Ibrahim Ibn Youssouf et des principaux notables qu’il salua avec
condescendance. D’une voix douce et teintée d’ironie, il interrogea ses
voisins :
— Le rabbin Obadiah Ben Jacob
serait-il malade ?
— Comment as-tu remarqué son
absence ?
— On m’a rapporté qu’il ne
dirigerait pas l’office.
— Nos frères d’Ishbiliyah l’ont
appelé pour résoudre une affaire très importante.
— Quel dommage ! J’aurais
tant aimé le rencontrer car c’est un homme d’une grande érudition, du moins si
j’en crois son fils.
— As-tu vu celui-ci ?
demanda, l’air soupçonneux, Ibrahim Ibn Youssouf.
— Nous avons prié ensemble dans
la synagogue de Tahart où il avait fait étape. J’ai apprécié sa conversation et
il a eu l’obligeance de me raconter l’histoire de votre sainte communauté. Je
me réjouissais à l’idée de m’entretenir avec son père mais Dieu en a décidé
autrement.
À l’issue de l’office, Ibrahim Ibn
Youssouf invita Eldad le Danite à s’adresser à la foule. Le visiteur ne se fit
pas prier et se lança dans une longue péroraison en hébreu, s’arrêtant de temps
à autre pour permettre aux fidèles qui ne comprenaient pas la langue sacrée
d’entendre la traduction de ses propos :
— Mes frères, je bénis Dieu de
m’avoir permis d’arriver sain et sauf dans votre ville. L’Éternel m’a comblé de
ses bienfaits et je n’ai jamais perdu confiance en Lui, en dépit des
souffrances que j’ai endurées. Je suis Eldad, fils de Mahli, et j’appartiens à
la tribu de Dan qui vit dans les montagnes situées au-delà du fleuve Koush.
Nous avons pour voisins les tribus de Nephtali, d’Asher et de Gad, qui ont
chacune un roi et observent scrupuleusement les saintes ordonnances de Moïse. À
un mois de marche de nos domaines, se trouve le fleuve Sambatyon dont les eaux
charrient de lourds rochers, hormis le jour du shabbat, où elles deviennent
aussi calmes que celles d’un étang. Il est interdit de franchir le Sambatyon
derrière lequel vivent les Lévites qui offrent à Dieu des sacrifices, notamment
des pains pétris avec une farine spéciale qu’eux seuls savent fabriquer. Ces
hommes pieux et irréprochables nous rendent parfois visite afin de nous
instruire des préceptes de notre religion et de nous apprendre les hymnes
qu’ils ont composés. L’un des plus beaux s’appelle « l’hymne de
l’unité », le Shir Halhoud, que je vous demande d’écouter.
D’une voix suave, Eldad entonna un
chant d’une étonnante beauté, aux sonorités et aux rythmes totalement inconnus
des Juifs de Kurtuba, qui se promirent de réciter désormais cette prière chaque
samedi avant la sortie des rouleaux de la Loi.
Satisfait de son effet, Eldad
continua son récit :
— Mon père était un officier au
service de notre puissant et redouté monarque, Ouziel Ben Shaltiel, dont
l’autorité est reconnue non seulement par les Danites, mais aussi par les
Chrétiens et les Musulmans qui vivent dans cette région et qui considèrent
comme un honneur d’obéir aux enfants d’Israël. J’ai appris auprès d’un de nos
maîtres la Torah ainsi que notre Talmud qui diffère de celui de Jérusalem et de
Babylone. Mon serviteur porte le traité relatif à l’abattage rituel que je vous
offre en vous demandant de l’examiner et de corriger les erreurs qu’il pourrait
contenir.
« Rien ne me prédisposait à
connaître une existence errante, semée d’épreuves et d’embûches. Profitant de
la mort d’Ouziel, les Éthiopiens nous ont attaqués. Ces païens cruels et
barbares, qui n’hésitent pas à manger certains de leurs captifs, ont envahi par
surprise notre royaume. Notre armée a pu les repousser, mais plusieurs des
nôtres – j’étais de ceux-là – ont été faits prisonniers. J’ai eu la
douleur de voir quelques-uns de mes compagnons d’infortune être sacrifiés par
ces sauvages et je redoutais à chaque instant de subir le même sort.
Finalement, mes ravisseurs m’ont conduit jusqu’à un port où ils ont l’habitude
de troquer du blé et des étoffes contre de l’or, qu’ils possèdent en grandes
quantités, et des esclaves. Exposé sur une estrade dressée sur la place du
marché, j’ai vu des marchands m’examiner attentivement comme si j’étais une
bête de somme. Vous pouvez
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